Idole instantanée

Avec ces citadins se payant la tête de provinciaux, la prémisse de «Le Schpountz» évoque bien sûr le «Dîner de cons», de Francis Weber.
Photo: François Plante Delagrave Avec ces citadins se payant la tête de provinciaux, la prémisse de «Le Schpountz» évoque bien sûr le «Dîner de cons», de Francis Weber.

Elles semblent de plus en plus nombreuses, ces transpositions du grand écran à la scène. Emmanuel Reichenbach s’en est un peu fait une spécialité pour le Théâtre du Rideau vert (Intouchables, le douteux Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu ?). Centré sur le désir de célébrité d’un naïf, Le Schpountz était porté, dans le film de 1937, par une forte nature comique, Fernandel.

Il faut reconnaître que l’auteur a travaillé fort pour adapter au contexte québécois d’aujourd’hui la comédie de Marcel Pagnol, féminisant des postes de pouvoir, insérant quelques commentaires piquants sur notre société « allergique à l’anonymat » ou le culte du vedettariat. Impossible en effet de passer à côté de cette nouvelle réalité propice aux idoles instantanées. Mais sans aller jusqu’à ce qui serait peut-être la conclusion logique d’une telle actualisation : un protagoniste se rendant visible sur YouTube, là où pullulent les aspirants artistes en mal d’être découverts.

Théo, lui, semble surtout un velléitaire, qui rêve grand sans faire d’effort pour réaliser ses fantasmes. Sûr de son « don » d’acteur, ce fils d’un épicier de la Côte-Nord préfère déclamer du Tchekhov plutôt que de servir les clients. Lorsque des membres d’une équipe de tournage de passage s’amusent à lui faire signer un contrat bidon pour un film, il croit son heure de gloire arrivée. La blague va prendre une tournure inattendue lorsque Théo rapplique dans leur studio montréalais…

Avec ces citadins se payant la tête de provinciaux, la prémisse évoque bien sûr le Dîner de cons, de Francis Weber. Mais sans la touche cinglante qui en faisait la drôlerie. Ici, c’est plus gentillet, plus mou, l’humour davantage bon enfant. Parce qu’au final, le récit s’oriente vers le conte de fées.

Il y a bien quelques pointes acérées en deuxième partie, mais le portrait du milieu cinématographique — un genre en soi — paraît pencher plus vers la caricature que la satire (ainsi, ce réalisateur prétentieux composé par Philippe Robert). Par contre, le personnage de productrice ratoureuse (savoureuse Linda Sorgini) est un des points forts du spectacle. Versant région, l’oncle bougon, typique figure pagnolienne que Raymond Bouchard incarne avec une force imperturbable des plus réjouissantes, hérite souvent des meilleures répliques.

La pièce dirigée par l’inépuisable Denise Filiatrault, dans un décor flexible de Jean Bard, comporte donc de bonnes scènes. Mais elle est un peu longuette et tombe vers la fin dans le sentimentalisme, avec une romance peu crédible, qui n’est là que pour consacrer l’ultime réussite du Schpountz. Rémi-Pierre Paquin joue avec une naïveté sympathique, et parfois avec vulnérabilité, cet être si imbu de son don imaginaire que sa prétention pourrait le rendre détestable.

Ce personnage aux ambitions dramatiques, drôle à son insu, déplore la prolifération des comiques. La pièce elle-même, agréable divertissement conservant un parfum rétro, ne brille pas par sa profondeur. Disons qu’on est loin du Trahison d’Harold Pinter que le théâtre présentait à la même date, l’an dernier…

Le Schpountz

D’après un scénario de Marcel Pagnol. Adaptation : Emmanuel Reichenbach. Mise en scène : Denise Filiatrault. Jusqu’au 8 juin, au Théâtre du Rideau vert.

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