«La fissure»: quand tout vacille

La partition exige beaucoup de la part des interprètes, il faut donc souligner la maîtrise dont Amélie Dallaire et Mathieu Quesnel font preuve.
Photo: David Ospina La partition exige beaucoup de la part des interprètes, il faut donc souligner la maîtrise dont Amélie Dallaire et Mathieu Quesnel font preuve.

On retrouve dans le nouvel opus d’Amélie Dallaire le ton joyeusement sombre qui en avait ravi plusieurs lors de la création de Queue cerise, une pièce mise en scène par Olivier Morin à la salle Jean-Claude-Germain en 2016. Après s’être intéressée à la vie de bureau, métaphore éprouvée de la vie en société, l’autrice, aussi comédienne, metteure en scène et productrice, se penche cette fois sur la vie de couple. Présentée à la Petite Licorne, La fissure est un face à face d’une inquiétante étrangeté, un huis clos troublant et néanmoins libérateur où le rire et l’angoisse vont toujours de pair.

Parce qu’il s’agit d’un théâtre réglé au quart de tour, une partition qui exige beaucoup de la part des interprètes, il faut commencer par souligner la maîtrise dont Amélie Dallaire et Mathieu Quesnel font preuve. Devant l’efficacité de leurs échanges, une précision qui concerne aussi bien les mots qui sont prononcés que ceux qui se cachent derrière — le sous-texte étant ici tout à fait crucial —, on reste pantois. Porté par une complicité indéniable, le tandem navigue tout naturellement entre la comédie et le drame, le réalisme et le fantastique, la caricature et la critique sociale.

La pièce donne accès à une scène de la vie conjugale, une heure dans l’existence fuyante de Françoise et Fred, une tranche de quotidien sur laquelle planent le doute et le mystère. Durant cette soirée banale, du moins en apparence, le pire menace constamment de sourdre. On a le sentiment qu’à tout instant, le désaccord pourrait se muer en violence, la lassitude en dépression, le petit mensonge en terrible trahison. Partout dans cette vie à deux règne l’incertitude, toujours la duplicité guette. Bien malin qui parviendra à distinguer le vrai du faux. Sait-on jamais complètement qui sont les êtres avec qui nous partageons nos existences ? Cette question, qui en taraude sûrement plusieurs, la pièce la soulève de manière fort convaincante.

En adoptant un ton qui évoque celui d’Harold Pinter, mais aussi de Catherine-Anne Toupin et d’Étienne Lepage, Amélie Dallaire traduit avec acuité la façon dont la violence peut s’inviter dans les rapports humains les plus tendres, dont la cruauté est à même de s’immiscer parmi les sentiments les plus nobles. Entre Françoise et Fred, ce soir-là, tout vacille. Travail, amitié, amour, sexualité et santé mentale… Que feront-ils du gouffre qui s’ouvre sous leurs pieds ? Céderont-ils à la panique ? Choisiront-ils plutôt d’apprivoiser leur vertige ? Cela reste à voir.

La fissure

Texte et mise en scène : Amélie Dallaire. Une production d’Amélie Dallaire. À la Petite Licorne jusqu’au 24 mai.

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