Jamais Lu: à la découverte de nos voisins

La cofondatrice du Jamais Lu Marcelle Dubois (à gauche) estime que les hésitations à inclure au festival le travail d’auteurs anglophones doivent être revisitées en 2019. C’est dans cette optique qu’elle a invité l’auteure et traductrice Alexis Diamond à codiriger la 18e édition de l’événement.
Photo: Valérian Mazataud Le Devoir La cofondatrice du Jamais Lu Marcelle Dubois (à gauche) estime que les hésitations à inclure au festival le travail d’auteurs anglophones doivent être revisitées en 2019. C’est dans cette optique qu’elle a invité l’auteure et traductrice Alexis Diamond à codiriger la 18e édition de l’événement.

À sa 18e édition, chapeautée par la thématique « franchir les solitudes », le Jamais Lu passe de la parole aux actes. Marcelle Dubois a invité trois artistes, autochtone, francophone et anglophone (Nahka Bertrand, Pascal Brullemans et Alexis Diamond) à codiriger ce festival dramaturgique annuel.

« Je pense qu’on est rendus là, explique la cofondatrice de l’événement. Depuis plusieurs années, le discours dans l’espace public porte beaucoup sur l’idée d’inclusion. Mais les actions, les véritables partages du pouvoir peinent encore à se matérialiser. » Et la barrière linguistique est le « dernier tabou du vivre-ensemble. On va parler de la diversité, des paroles autochtones, mais rarement de la cohabitation entre anglos et francos. »

Le Jamais Lu est un espace francophone qui défend la langue. Mais cette fierté doit inciter les autres à venir partager notre terrain de jeu, croit Marcelle Dubois. « On n’aura jamais de problèmes à faire venir un auteur allemand ou espagnol qui ne parle pas notre langue. » Mais avec un anglophone, « il y a encore beaucoup de résistance à cet Autre qui partage le même territoire, qui se questionne sur les mêmes enjeux que nous. Pour de très bonnes raisons historiques et politiques. Mais en 2019, on [doit] les revisiter. On est à une étape charnière, je trouve, entre comment valoriser les identités, les cultures distinctes, tout en abolissant les frontières historiques qui créent des clivages. C’est un beau défi ! »

En lisant les 180 textes inédits reçus cette année, elle a constaté que de toute façon, les auteurs eux-mêmes vont là. « On sent qu’ils ont envie d’assouplir tout ce qui est binaire, catégorisant. Leurs paroles portent beaucoup cette idée d’à la fois nommer des identités fortes et de briser des moules. »

Le spectacle d’ouverture s’intitule d’ailleurs Parle à ton voisin. Ce « garden-party » signé Alix Dufresne réunit dix artistes « forts dans leur communauté respective » (Manal Drissi, Nicole Brossard, Simon Boulerice, Ricardo Lamour…) lisant une lettre écrite à des voisins. La soirée de clôture se veut plutôt multidisciplinaire, multilingue et rassembleuse. Tamara Brown, une metteure en scène ayant « une approche très sensorielle », a réuni neuf artistes qui vont « réécrire des pans de l’histoire, personnelle ou avec un grand H, et réinventer par la fiction la suite des choses », résume Dubois.

Le festival, qui comporte un forum pancanadien sur la dramaturgie contemporaine, permettra ainsi de découvrir en français trois pièces canadiennes. Dont Mouthpiece du duo féministe torontois Amy Nostbakken et Norah Sadava. Leur démarche ressemblerait étonnamment à celle de leurs traductrices, Marie-Ève Milot et Marie-Claude St-Laurent.

Décider à quatre

La programmation a été choisie en quatuor, ce qui a nécessité un véritable partage du « pouvoir » et c’est « le plus difficile à faire », indique Marcelle Dubois. Au départ, la directrice était sûre de ses choix initiaux, qui lui semblaient des évidences. Des textes qui ne résonnaient pas autant chez ses collègues. Elle a alors réalisé que sa sélection reproduisait ce qu’elle connaît. Une expérience très « révélatrice », à petite échelle, d’un système : « Plus tu montes dans la hiérarchie, plus tu fais jouer tes réseaux, ce que tu connais… » En contrepartie, il lui a été difficile de refuser les pièces de certains auteurs. « Eux s’attendaient à avoir une place au Jamais Lu parce qu’ils en ont toujours eu une ou parce que ça allait un peu de soi dans la filiation de la pensée. Ils l’ont plus ou moins mal pris. » Ces choix relèvent toutefois de coups de coeur. « Il n’y a pas de compromis sur la qualité artistique », dit l’auteure et traductrice Alexis Diamond. Plutôt une reconnaissance qu’il existe « d’autres façons de raconter une histoire, d’autres traditions de narration. Je pense que c’est ce qu’il faut redéfinir un peu ».

Le festival offre en lectures des textes québécois fraîchement écrits, de Laitue matinale, une réécriture « non genrée » d’Alexandre et Cléopâtre, à Champion, un théâtre-documentaire sur la lutte. Après avoir participé en 2017 à Jusqu’où te mènera Montréal et à Identités, deux objets collectifs du Jamais Lu où, blague-t-elle, elle était « l’anglophone de service », Alexis Diamond y présente elle-même une pièce, Faux-amis.

Cette cocréation avec Hubert Lemire, à 80 % en français, est la première fois où la Montréalaise écrit un texte dans « la langue de mon coeur ». « C’est à la fois une comédie romantique, un road trip et un peu un échange autour de l’identité. » Les coauteurs ont parcouru deux fois la route Québec-Toronto pour pondre cette fiction de cohabitation forcée, dans l’habitacle d’une automobile, entre un francophone de la Vieille Capitale et une anglo-Montréalaise. Une véritable mise en abyme de cette 18e édition…

Festival du Jamais Lu

Du 2 au 11 mai, au Théâtre Aux Écuries

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