«Strindberg»: les fantômes d'August

Jean-François Casabonne incarne un Strindberg paranoïaque qui se voit donner la réplique par ses ex-épouses.
Photo: Olivier Hardy Jean-François Casabonne incarne un Strindberg paranoïaque qui se voit donner la réplique par ses ex-épouses.

Après avoir essentiellement mis en avant des auteurs contemporains — comme Line Knutzon, Audur Ava Ólafsdóttir et Jonas Hassen Khemiri —, le Cycle scandinave du Théâtre de l’Opsis se termine étrangement par une incursion dans l’univers d’August Strindberg, écrivain suédois mort en 1912, considéré comme l’un des pères du théâtre moderne, mais aussi comme un misogyne endurci.

Est-il toujours possible de mettre en scène certaines des grandes pièces du répertoire mondial en fermant les yeux sur la misogynie qui les sous-tend ? En 2016, avec les finissants de l’École nationale de théâtre, Catherine Vidal répondait à cette question par la négative en faisant franchement et ingénieusement entrer le présent dans sa relecture de Mademoiselle Julie. De manière comparable, Luce Pelletier a choisi pour Strindberg, le spectacle qu’elle présente ces jours-ci à l’Espace Go, d’accorder un droit de réplique à celles qui furent les épouses du dramaturge suédois : la femme de lettres Frida Uhl (Marie-Pier Labrecque) et les comédiennes Siri von Essen (Isabelle Blais) et Harriet Bosse (Lauriane S. Thibodeau).

Sur papier, l’idée était loin d’être mauvaise : demander à Anaïs Barbeau-Lavalette, Rachel Graton, Véronique Grenier, Emmanuelle Jimenez, Suzanne Lebeau, Catherine Léger, Marie-Louise Bibish-Mumbu, Anne-Marie Olivier et Jennifer Tremblay de donner une voix aux trois femmes qui unirent leur vie à celle de Strindberg. Malheureusement, la création, écartelée entre les époques, les langues, les tons et les esthétiques, présente une série de compromis qui ne font que la miner. Ainsi, biographique sans l’être vraiment, pas tout à fait historique, mais pas précisément de son temps non plus, levant le ton sans jamais s’emporter, montrant l’abcès sans oser le percer, le spectacle est une source continuelle de frustration.

Il y a les accents qui fluctuent, les niveaux de langue qui s’entrechoquent, les costumes d’époque qui s’agencent bien mal avec la scénographie géométrique, les déplacements inutiles et le jeu généralement empesé, à commencer par celui de Jean-François Casabonne dans le rôle-titre. Pendant 1 h 40, les trois femmes hantent le dramaturge, règlent des comptes sans que jamais on soit profondément interpellé par leurs propos. Désincarné et sentencieux, disparate et dispersé, le spectacle manque de relief et de mordant en même temps que de cohérence et d’élan. On dirait bien qu’une fois de plus le dicton s’applique : qui trop embrasse mal étreint.

Strindberg

Texte : Anaïs Barbeau-Lavalette, Rachel Graton, Véronique Grenier, Emmanuelle Jimenez, Suzanne Lebeau, Catherine Léger, Marie-Louise B. Mumbu, Anne-Marie Olivier et Jennifer Tremblay, d’après August Strindberg. Mise en scène et montage du texte : Luce Pelletier. Une production du Théâtre de l’Opsis. À l’Espace Go jusqu’au 12 mai.



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