PME-ART: du difficile art d’être ensemble

« La raison pour laquelle je fais de la performance, c’est que j’ai ce fantasme d’une sorte d’art dont le fondement serait — c’est un rêve — d’être dans une pièce avec d’autres personnes. D’avoir une expérience artistique ancrée sur le simple fait d’être ensemble », illustre le metteur en scène, performeur et auteur Jacob Wren. Et au sein de sa compagnie PME-ART, il travaille toujours, toujours, depuis 20 ans, la notion de collectif. Sauf pour sa nouvelle performance-bilan-rétrospective, L’authenticité, un sentiment : mode d’emploi — doublé par la sortie d’un livre du même nom, en anglais. Esprit de contradiction.
Ses spectacles — En français comme en anglais, it’s easy to criticize (1998), La famille se crée en copulant (2005), la série Hospitality, entre autres — sont conceptuels et instinctifs à la fois. Influencés par l’instant et les spectateurs du moment. Portés par une oralité et un art de raconter et reraconter les histoires, entre l’improvisation et le finement prévu. Démontant ou illustrant le racisme, la misogynie, la relation à la musique ou à la lecture, les blocages sociaux, les difficiles relations entre l’intime et le politique, et les hiérarchies théâtrales traditionnelles. Et ayant toujours en leur coeur des interrogations sur le collectif. Sauf pour cette « lecture-performance » anniversaire, où Jacob Wren se pose contre le fondement même de sa pensée artistique, en solo.
« J’ai l’impression que la plupart de nos projets partent d’une joke qu’on lance ; et qu’ensuite on se dit que ce serait vraiment bien, finalement, de le faire pour vrai. Là, la blague c’est que ça fait vingt ans que le travail de PME-ART en a toujours été un de collaboration ; sur la collaboration ; sur sa difficulté aussi. Et pour exprimer cette difficulté, ben, je vais faire un show tout seul, et je vais parler de tous mes collaborateurs dans leur dos », sourit, en anglais, avec son ton pince-sans-rire et ses yeux pétillants d’intelligence retenue, Jacob Wren.
Fondée par Sylvie Lachance et Richard Ducharme à la mort des 20 jours du théâtre à risque, la compagnie est devenue, quelques années plus tard, associée intimement à la vision du directeur artistique Jacob Wren. Une vision collective. À la base de chaque projet, des invitations lancées à des artistes qui ont une pratique individuelle solide, peu importe leur discipline. Ensemble, ils peuvent par exemple réécrire, à la main, Le livre de l’intranquilité de Pessoa (Adventures Can Be Found Anywhere, même dans la mélancolie, 2014). Ou parler de leur relation aux tounes importantes de leur vie — anecdotes véridiques, empruntées, inventées, le spectateur ne sait jamais — avant d’en faire jouer quelques minutes pendant que les spectateurs sirotent leur gin-tonic (Le DJ qui donnait trop d’information, 2005).
« Je ne trouve rien, mais vraiment rien de facile dans la collaboration, mais j’y crois toujours », avance Jacob Wren. « C’est un truc politique très simple : si les gens n’arrivent pas à travailler ensemble, alors we’re really fucked, so there has to be a way. Mais je reste surpris qu’après trente ans à me consacrer au travail artistique collaboratif, je n’en sais toujours pas plus. Je ne sais vraiment pas comment faire, comment y arriver, c’est assez fantastique. C’est pour la question politique que j’insiste : ce n’est pas facile, presque impossible, mais il faut — il n’y a pas d’autres choix —, il faut essayer, réessayer, tenter de trouver une manière, des manières. »
Oeuvre en deux tomes
Malgré le choix du solo, le travail collectif n’est pas entièrement évacué de L’authenticité… L’oeuvre se déploie en deux pans : un livre, en anglais (Authenticity Is a Feeling: My Life In PME-ART, Book*hug), et la performance. « Nous avons envoyé un brouillon du texte du livre à tous les collaborateurs avec lesquels nous avons travaillé au fil du temps — une vingtaine —, et la moitié ont répondu, renvoyant leurs commentaires, que nous avons intégrés dans le livre et dans le show. C’est une autre façon de collaborer, pas aussi immédiate, mais qui a sa propre qualité et reste très intéressante. D’une certaine manière, j’ai senti que les collaborateurs pouvaient être plus honnêtes, parce qu’ils ne voient pas ta réaction quand tu les lis. J’ai trouvé ça intéressant, ce mode de collaboration qui peut au premier abord avoir l’air moins collaboratif. »
Si en général Jacob Wren déteste expliquer son travail — « je me dis : soit tu comprends, soit non… » —, il se livre cette fois entièrement au jeu. « Je soupçonne que ma résistance bloque aussi notre compréhension plus profonde, et notre possibilité d’y plonger plus profondément. Alors, j’ai ce désir de trouver ce blocage, de le nommer, d’expliquer ce qu’on a fait, de voir où peut aller ; et de faire tout ça en public, en abordant ces questions avec transparence ; de comprendre avec et à travers les gens qui viennent voir. » Car dans le processus de la compagnie, chaque prochaine performance découle de celle en cours. L’avenir ? Emotional Politics [La politique émotionnelle]. Où commence la pensée, où débute l’émotion, demande Wren dans son livre, avant d’évacuer la question tant les deux données, surtout en politique, sont tissées serrées. Une large question, qui touche aussi à l’art difficile d’être, et de rêver, ensemble.