Le «rideau de verre» perdure pour les femmes en théâtre

Nouveaux chiffres et même constat : les scènes théâtrales québécoises demeurent encore loin de la parité et sont toujours le royaume des hommes, révèle une étude dévoilée lundi. Ses auteures plaident pour que le « rideau de verre » qui désavantage les femmes de théâtre soit enfin levé.
« Il y a encore beaucoup de résistance et d’écarts », note en entretien la comédienne Marie-Ève Milot. Celle-ci est coresponsable (avec sa collègue Marie-Claude St-Laurent et le Réseau québécois en études féministes) de ce projet de quantification de la présence féminine dans les théâtres du Québec.
La mesure de ces écarts donne l’ampleur du chemin à parcourir. Pour les saisons 2017-2018 et 2018-2019, les théâtres francophones de Montréal et de Québec ont confié 60 % de leurs mises en scène à des hommes, et seulement 29 % à des femmes (le reste représente les projets menés par des collectifs).
Dit autrement : pour chaque mise en scène confiée à une femme, deux hommes ont eu le même privilège. C’est pourtant le « poste-clé de toute production », relève Ginette Noiseux, directrice du Théâtre Espace Go. « Souvent, ce sont les metteurs en scène qui vont arriver avec des textes », souligne-t-elle.
Et justement : pour ce qui est des textes, 52 % des productions des deux années étudiées émanaient d’auteurs, alors que 31 % étaient signés par des auteures.
Les finissants aussi
Toutes les autres statistiques colligées par Mmes Milot et St-Laurent — au nom du collectif Femmes pour l’équité en théâtre (FET) — sont à l’avenant. Par exemple, le fait que 58 % des mises en scène des théâtres jeune public ont été confiées à des hommes (et 27 % à des femmes).
Ou encore : que les spectacles de finissants dans les établissements de formation ont été mis en scène presque exclusivement par des hommes (80 %), qui ont fait jouer des textes écrits presque exclusivement par des hommes (67 %).
C’est là un constat particulièrement « douloureux », selon Marie-Claude St-Laurent. « La dernière année de formation est le passage vers la réalité professionnelle, dit-elle en entretien. D’avoir des modèles [féminins] pour les finissants et finissantes peut avoir un impact majeur sur la vision artistique qui se développe. »
Chantier
Ces données ont été présentées en soirée à l’ouverture du Chantier féministe, un événement de discussion et de réflexion sur la place des femmes en théâtre qui se tient toute la semaine à l’Espace Go. Une étude plus complète sera dévoilée d’ici un mois, mais les grandes lignes de ce que les deux actrices ont constaté sont déjà claires : le milieu bouge lentement, malgré la vigueur de la discussion sociale sur la parité.
Il y a deux ans, une première étude menée par FET avait ainsi dressé le portrait d’un manque de représentativité criant. Entre 2012 et 2017, moins de trois productions sur dix sur les plateaux de Québec et de Montréal avaient été confiées à des auteures ou à des metteuses en scène.
Les plus grands théâtres étaient particulièrement pointés du doigt, étant les moins paritaires dans leur choix d’oeuvres. Duceppe n’avait monté aucun texte de femmes sur 25 productions…
Une statistique sortait aussi du lot : en 5 ans, sur 151 pièces entièrement produites par les théâtres où elles étaient présentées (disposant donc des meilleures conditions de création), 81 % avaient été mises en scène par des hommes, et 81 % mettaient de l’avant les mots d’un auteur.
L’étude de lundi utilise une méthodologie légèrement différente, mais présente des données semblables. Dans les deux dernières années, 61 % des mises en scène de productions émanant de théâtres producteurs-diffuseurs ont été confiées à des hommes, contre 26 % à des femmes. Et les deux tiers des textes montés étaient d’auteurs (contre 28 % d’auteures).
« Les femmes sont les plus invisibles dans les catégories qui prennent en compte les meilleures conditions de travail pour créer, dit Marie-Ève Milot. C’est très parlant pour nous pour illustrer la confiance qu’on place dans les femmes — confiance dans leur imaginaire, dans leur capacité de gérer des budgets ou d’attirer le public. »
À travers ces chiffres, une donnée est tout de même jugée encourageante par Mmes Milot et St-Laurent : 58 % des bourses d’excellence et des prix remis entre 2017 et 2019 sont allés à des femmes.
Le Chantier féministe de cette semaine vise notamment à transformer en « enjeu commun » ce problème de représentativité et d’égalité des chances, soutien Ginette Noiseux. « Ça m’interpelle comme directrice artistique : ce n’est pas seulement aux femmes de devoir porter la cause des femmes. Ça nous concerne tous. »