«Guérilla de l’ordinaire»: veiller avec vigilance

Après Chienne(s), un spectacle bouleversant sur les tenants et les aboutissants de l’anxiété au féminin, les codirectrices du Théâtre de l’Affamée, Marie-ÈveMilot et Marie-Claude St-Laurent, achèvent leur résidence à la salle Jean-Claude-Germain du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui en créant Guérilla de l’ordinaire, une ingénieuse juxtaposition de discours concernant principalement le sexisme, ces violences terriblement nombreuses et tristement banales qui sont faites aux femmes.
Pour répondre à la vague d’incompréhension qui suit la disparition de Claude, les proches de la jeune femme organisent une veillée. Alors que certains sont là pour lui rendre hommage, pour se recueillir à sa mémoire, d’autres sont présents pour se faire valoir. Il y a sa soeur (Pascale Drevillon), son ami militant (Jonathan Caron), sa colocataire (Maxime D.-Pomerleau), son ex-conjoint (Maxime De Cotret) et celle qui occupe actuellement sa chambre désertée (SarahLaurdendeau), mais aussi une citoyenne (Myriam De Verger), une politicienne (Marie-Claude St-Laurent) et finalement celle dont l’intervention aura l’effet d’un coup de théâtre (Soleil Launière).
Sur le plateau, un large miroir et des lampions. Juste au-dessus, on aperçoit Mathilde Laurier, dont la musique donne une pulsation essentielle à la représentation. Dans cette suite de courtes scènes contrastées alternent deux registres. Le premier, c’est celui des échanges qui se déroulent pendant la veillée, des dialogues où le deuil s’accomplit comme il peut, des monologues où les souvenirs remontent à la surface, maintes fois chargés de regrets ou de remords. Dans ces moments, l’absente semble omniprésente.
Le second registre, c’est un florilège d’instants cocasses, souvent satiriques, une manière légère d’aborder des problèmes graves, de mettre en relief ces fléaux qui minent la vie en société : sexisme, racisme, xénophobie, homophobie, transphobie, grossophobie, âgisme, capacitisme, classisme et colonialisme. Du jeu de la chaise musicale (implacable illustration de la notion de privilège) à la scène de hit-and-run (qui permet d’évoquer la culpabilisation des victimes de viol) en passant par l’énumération des militantes féministes (poignant contrepoint à leur invisibilisation), le spectacle vise souvent juste.
Avec une création qui incarne tout naturellement les enjeux de la diversité — qu’elle soit corporelle, sexuelle, culturelle, de genre ou d’identité —, qui parvient à susciter les rires aussi bien que les larmes, à exprimer la colère et l’empathie, à nourrir l’indignation aussi certainement que le débat, Marie-Ève Milot et Marie-Claude St-Laurent apportent à la pratique théâtrale québécoise contemporaine un renouveau exaltant.