«Numbers Increase As We Count»: femmes en séries

La guerre fait du corps de la femme un champ de bataille, pour paraphraser le titre percutant d’une pièce de Matei Visniec. Mais l’après-conflit ? Numbers Increase As We Count dénonce le sort des femmes, notamment, dans l’Irak post-invasion états-unienne. La performance créée par Ülfet Sevdi, artiste montréalaise d’origine turque, parle de femmes — et de jeunes filles — enlevées, que les déplacements ont rendues vulnérables au trafic sexuel et à la prostitution forcée.
La performance s’amorce dans le hall du MAI. La créatrice tend, tour à tour, un carton et un micro à plusieurs spectateurs. Docilement, chacun lit un court texte explicatif, dans la langue officielle de son choix (autrement, les passages en anglais de ce spectacle trilingue bénéficient de surtitres). Habile façon d’engager directement le public, même s’il me semble que l’impact aurait peut-être été encore plus grand si le procédé — qui comprend aussi une traduction en turc — avait été raccourci. Plus tard, dans la salle, certains seront aussi appelés à lire des documents de sources inconnues, sortes de rapports sommaires mais glaçants, sur des cas de trafic. Le message en tout cas est clair : ce problème, cette souffrance nous concernent aussi, nous qui vivons dans « l’un des pays les plus protégés au monde ».
Intégrant documentation et performance, Numbers Increase As We Count appuie beaucoup sa charge sur un entretien filmé avec la féministe irakienne — exilée à Toronto — Yanar Mohammed, présidente de l’Organisation pour la liberté des femmes en Irak. Aussi très critique de l’ONU, elle livre un véritable réquisitoire contre l’occupation américaine. La désastreuse équipée bushienne est ici tenue pour le grand coupable de la victimisation des femmes de la région.
Mais au-delà de cette analyse politique, on retient l’efficacité évocatrice de certains procédés scéniques. Comme la projection, à un moment, de cette même entrevue sur le corps d’une interprète, rappelant l’instrumentalisation de la chair féminine. Autre utilisation des corps en scène : la reproduction des postures de femmes croquées en photos — certaines alarmantes.
À partir d’une pile de vêtements, les trois performeuses (Itir Arditi, Burcu Emeç et Ülfet Sevdi) reconstituent aussi des silhouettes féminines sur le sol. Des atours qu’elles enfileront ensuite un par un, en nommant chaque fois un prénom féminin. Empreinte d’une lenteur et d’une gravité idoines, la représentation est portée par un désir manifeste d’humaniser la problématique, de donner une existence à ces femmes, au-delà des statistiques, de les rendre réelles.
Plus discutable est cette portion, qui manque un peu de contexte, où on montre de courts extraits filmés des répétitions, où on voit les interprètes partager leurs sentiments, leurs doutes ou leurs souffrances.
On comprend par contre qu’à travers le rituel de comptage qui accompagne leur démarche artistique, elles cherchent à se connecter à ces femmes abusées. Un décompte qui trahit l’incapacité d’atteindre l’ampleur estimée du phénomène. Comme l’annonce l’éloquent titre, la performance n’aurait pas de fin…