«Cendres»: célébrer notre patrimoine artistique

La metteure en scène et chorégraphe Menka Nagrani poursuit une démarchefranchement peu courante, sinon unique. Elle convoque sur scène des numéros de gigue et des complaintes traditionnelles, afin d’inscrire dans le paysage d’aujourd’hui ces formes patrimoniales québécoises qu’elle estime négligées. Après avoir fait swinguer Le chemin des passes-dangereuses de Michel Marc Bouchard en 2015, elle dirige cette fois une création de danse-théâtre, toujours au théâtre Prospero. Un objet singulier, qui accuse parfois sa nature très hétérogène, mais souvent irrésistible.
Cendres fait écho à cette prise de position artistique dans le récit lui-même — au demeurant assez mince —, qui traite de patrimoine disparu, de racines et de mémoire. Comme dans sa pièce précédente, Centre d’achats, Emmanuelle Jimenez donne ici naissance à un univers aux accents catastrophistes, hanté par des inquiétudes de fin du monde bien actuelles. Les cataclysmes s’y multiplient, à commencer par le feu qui a détruit la maison, et les parents, d’Étienne et de Viviane. Les orphelins vivent désormais dans leurs cendres — que la scénographie d’Erica Schmitz évoque par un amoncellement de guenilles grisâtres —, cherchant à réinventer leur vie. Pendant ce temps, Sophie, l’ambitieuse soeur aînée, confrontée à la fois à un épuisement professionnel et à un ouragan, songe à revenir à ce médiocre bercail qu’elle avait abandonné des années plus tôt…
Renvoyant un peu aux adultes-enfants de Réjean Ducharme, la partie du récit axé sur les orphelins privilégie un ton qui se rapproche parfois un peu trop, à mon goût, de celui d’un théâtre pour les jeunes. Cette candeur juvénile est toutefois illuminée par la présence de la toujours craquante Gabrielle Marion Rivard.
La dramaturge déploie par ailleurs un humour robuste. Il faut entendre Sophie railler les vacanciers québécois qui pleurent leurs vacances gâchées par l’ouragan Irma… Marilyn Perreault offre, dans ce registre proche de la caricature, une composition soutenue, d’une grande précision vocale et physique.
Mais l’anecdote n’est pas l’essentiel ici. Certains éléments du texte donnent même l’impression d’être à la remorque des danses ou des chansons qu’ils annoncent… On prend plaisir à (re)découvrir ces beaux chants traditionnels, arrangés par Maëva Clermont. Dès l’ouverture, avec la Complainte de Sainte-Marie harmonieusement entonnée en choeur, le charme opère.
Quant aux entraînants numéros dansés, ils s’intègrent généralement bien dans la trame, venant éclairer les sentiments des personnages, traduire en mouvements ce qu’ils vivent. Une mention pour Olivier Rousseau, qui met à profit sa haute stature, notamment dans un impressionnant solo de danse plus contemporaine.
Les trois interprètes s’en tirent d’ailleurs avec les honneurs par leur triple maîtrise du jeu, du chant et de la gigue. Un art exigeant, qui révèle ici son surprenant potentiel théâtral.