«Je suis William»: être ou ne pas être

Les comédiens Édith Arvisais et Simon Labelle-Ouimet
Photo: François Godard Les comédiens Édith Arvisais et Simon Labelle-Ouimet

1577. Du haut de ses 13 ans, William Shakespeare aspire déjà à devenir écrivain, mais il perçoit rapidement que sa soeur jumelle, Margaret, est naturellement beaucoup plus douée que lui pour les mots, la poésie, la littérature. Or, dans cette Angleterre d’hier, les filles n’ont pas le droit à la parole, à la lecture et encore moins à l’écriture. Si elles désobéissent, elles sont accusées de sorcellerie et s’assurent d’un destin tragique.

Bien sûr, William Shakespeare n’a jamais réellement eu de soeur jumelle et sa vie adolescente reste encore aujourd’hui méconnue. Mais, dans Je suis William, l’auteure Rébecca Déraspe fantasme cette soeur littéraire, au caractère fort (Édith Arvisais) qui a soif de raconter et à qui William (Simon Labelle-Ouimet) voue du respect, bien sûr, mais aussi un amour fraternel inconditionnel. Sur scène, les discussions, les peurs, les espoirs s’échangent d’abord entre eux, les jumeaux, qui espèrent trouver une façon de laisser Margaret raconter « pour exister, pour se réparer et non pour se révéler au monde », dira-t-elle.

Puis, autour d’eux, Renaud Paradis joue de pluralité en endossant tour à tour — et avec une énergie et un naturel éblouissants — les rôles du narrateur, présent à quelques reprises, de la mère aimante, mais soumise à cette société patriarcale, du père intransigeant qui somme sa fille de se taire, du comte frétillant qui fera de William une star et, enfin, de la reine Élisabeth 1re, jamais nommée, mais identifiable à cette ouverture, à cette audace et à cette allure qu’on lui reconnaît. L’aisance des trois comédiens, leur capacité à propulser les spectateurs dans cette Angleterre rigide tout en mettant en scène l’espoir d’un renouveau avec légèreté relève d’une grande maîtrise de la théâtralité.

La liberté d’être

À travers cette histoire de fraternité, Déraspe met bien sûr en lumière les inégalités et les injustices qui ont longtemps brimé les femmes. Le rôle du père, la dureté avec laquelle il fait taire sa fille — il mentionne d’ailleurs en aparté qu’il pourrait la battre, mais que ce serait méchant — est à ce sujet signifiant de la difficulté à vivre pour celles qui étaient plus frondeuses et créatives. Dans une mise en scène tout en sobriété, Sylvain Scott parvient avec quelques objets, notamment un candélabre, et un jeu de lumière percutant à rendre tantôt la tendresse, tantôt l’amusement, tantôt la rage ou la détresse des personnages.

La grande place accordée à la musique et au chant ajoute par ailleurs beaucoup à la force évocatrice de l’ensemble. Le piano de Benoit Landry, présent sur scène, se mêle à la flûte traversière — jouée par Édith Arvisais —, à la trompette — Renaud Paradis, qui, ma foi, a tous les talents — et aux joutes oratoires chantées des trois comédiens. Le féminisme, thème porteur de la pièce, est ainsi soutenu par cette mise en scène à la fois classique et audacieuse qui témoigne de cette volonté d’oser, de dénoncer des inégalités sociales encore profondément enracinées.

Je suis William

Texte : Rébecca Déraspe. Mise en scène : Sylvain Scott. Interprétation : Édith Arvisais, Simon Labelle-Ouimet et Renaud Paradis. Musicien sur scène : Benoit Landry et Jean-François De Bellefeuille (en alternance). Une production du Théâtre Le Clou. Présentée à la Maison Théâtre jusqu’au 3 mars. Public cible : 10 à 14 ans

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