«Art»: le goût des autres

Dans «Art», trois vieux amis voient leur relation ébranlée par un geste a priori anodin: l’achat à prix prohibitif d’un tableau d’une blancheur immaculée.
Photo: François Laplante Delagrave Dans «Art», trois vieux amis voient leur relation ébranlée par un geste a priori anodin: l’achat à prix prohibitif d’un tableau d’une blancheur immaculée.

C’est ce qu’on appelle une valeur sûre. Avec Art, le Théâtre du Rideau vert remonte une populaire pièce qu’il avait fait découvrir aux Montréalais en 1996, soutenue par une forte distribution (Robert Lalonde, Jacques Girard et Marc Labrèche). Et à l’heure des like sur les réseaux sociaux, où ce qu’on aime définit plus que jamais qui on est, nous positionne sur l’échiquier social et idéologique dans un monde qui peine à accepter les opinions divergentes, ce conflit esthétique entre le conservateur, le branché « modernissime » et l’indécis — pour caricaturer — n’a pas perdu sa pertinence.

Dans Art, rappelons-le, trois vieux amis — déjà bien différents au départ — voient leur relation ébranlée par un geste a priori anodin : l’achat à prix prohibitif d’un tableau d’une blancheur immaculée. Un choix artistique qui s’avère insupportable pour Marc l’ingénieur, menaçant sa vision même de Serge. Au-delà de la perception d’une oeuvre d’art, la dramaturge française traite d’abord ici, habilement, de perceptions dans les rapports humains. Cette toile va devenir un révélateur des discours et postures auxquels les personnages s’accrochent, de leurs attentes les uns envers les autres, et va remettre en question les fondements mêmes de leur amitié.

D’emblée, cette nouvelle production semble miser sur la familiarité existant entre ses trois interprètes, eux-mêmes amis et partenaires dans un théâtre d’été. Si bien que lorsqu’ils se présentent à l’avant-scène, avant le lever du rideau, on ne sait plus s’ils sont dans la peau de leurs personnages ou en tant qu’eux-mêmes, déjà complices avec le public. Art contient d’ailleurs plusieurs apartés adressés aux spectateurs — qui permettent de mesurer la différence entre les pensées du trio et ce qu’ils dévoilent vraiment aux autres.

Admettons qu’avec cette triade de comédiens réputés pour leurs dons comiques, on craignait un peu de voir ce texte déjà satirique basculer franchement dans la pure comédie. Cette dimension ressort beaucoup — il est probablement possible de n’y voir que cette lecture —, mais pas d’une façon outrancière. Benoît Brière défend avec conviction son personnage de poseur sans abuser de ses immenses moyens comiques. Et Martin Drainville s’impose en donnant à son Marc, le plus sombre des trois, une colère rentrée palpable.

Luc Guérin, qui se dépense beaucoup sur scène, récoltant moult rires, me semble verser davantage dans un caractère caricatural. Faire-valoir et centre mou du conflit idéologique, le personnage d’Yvan, certes, est souvent ridicule. Mais ses failles terriblement humaines en font une figure qui devrait être assez pitoyable, et ultimement attachante.

Le spectacle soigneusement mis en scène par Marie-France Lambert — une première pour cette excellente comédienne — est visuellement attrayant. Plus, l’ingénieuse scénographie de David Gaucher et les éclairages de Lucie Bazzo aux couleurs fortes, souvent monochromes, qui l’habitent, font écho à l’univers de la pièce.

Art

Texte : Yasmina Reza. Mise en scène : Marie-France Lambert. Au Théâtre du Rideau vert jusqu’au 2 mars.

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