«Mythe»: la quête de sens à travers le chant choral

Conceptrice sonore et compositrice pour la scène (on lui doit notamment la musique originale de Consentement, au théâtre Jean-Duceppe), Mykalle Bielinski signe aussi ses propres créations, centrées sur le chant. Cette diplômée de l’UQAM en jeu aime « mettre la musique en scène autrement ». « C’est comme si j’avais transposé toute ma formation d’interprète dans la manière dont je chante. Je m’intéresse beaucoup au jeu vocal, au jeu de la parole aussi. » Ses concerts privilégient un environnement immersif à un rapport frontal avec le public et « créent de la dramaturgie dans la musique ».
Dépeint comme une expérience sensorielle, une performance poétique, Mythe est la suite de sa première création, Gloria, un opéra multimédia qu’un ancien collègue du Devoir qualifiait, en février 2016, de « pur objet de beauté ». Fascinée par les chants bulgares, Mykalle Bielinski orchestre, dans le spectacle bilingue qu’on verra à Espace Libre, un choeur féminin à cinq voix (Émilie Monnet, Florence Blain Mbaye, Laurence Dauphinais, Elizabeth Lima et elle-même).
« Gloria était une ode au sacré, à la transcendance, mais d’un point de vue individuel, explique la créatrice. Là, je voulais ramener ça au plan collectif, à l’expérience humaine, en parlant de la vie, de la mort. Je voulais m’intéresser aux origines de la spiritualité. »
La jeune artiste explore à travers son oeuvre une dimension spirituelle dissociée de la religion, qu’elle a plutôt découverte par la poésie, la philosophie, l’art. Se projeter dans ce qui nous transcende pour répondre à « l’impermanence » des choses et à l’angoisse de la mort : « c’est un peu ce qui m’intéressait avec Mythe. » Elle définit la spiritualité comme « une attention au monde, qui est portée vers la qualité des liens avec soi-même, avec les autres et avec le plus grand que soi ».
« Mais dans le spectacle, je ne veux jamais perdre de vue la connexion avec l’humain, ajoute-t-elle. Je voulais vraiment que les interprètes de Mythe soient les artisanes de l’espace et du temps, qu’elles configurent toute la narration. Contrairement à Gloria, où il y avait beaucoup de relais entre l’organique et la technologie, je voulais prendre le pari d’explorer à fond la présence. La voix nue. » À l’exception d’un clavier électronique, au son d’orgue d’église, utilisé pour créer des « bourdons » musicaux, toutes les compositions, inspirées de la musique sacrée, sont chantées a cappella.
Rapport immersif
Dans le texte poétique écrit par Mykalle Bielinski, la parole est « ritualisée, sacralisée d’une certaine façon. Donc, il y a beaucoup de répétitions, des mantras, de la psalmodie. Et on joue parmi les gens, dans un rapport immersif mais ouvert. » Avec les spectateurs assis sur des coussins par terre.
Cette transformation du rapport scène-salle favorise une ambiance propice au recueillement. « En général, j’essaie de créer une rupture au début du spectacle pour que les gens se débranchent de leur quotidien. Et qu’ils soient tranquillement amenés à [abandonner] les résistances, les jugements. Il y a quelque chose de méditatif qui s’installe. »
Pour la musicienne, le chant est un exercice méditatif. « C’est un exercice d’introspection et d’offrande. J’essaie vraiment d’être vigilante dans le contact que je crée avec le public. »
Et Mykalle Bielinski voit dans la forme chorale un « abandon de soi et une écoute des autres », qui font écho à ce qu’elle voulait exprimer dans Mythe. « Le chant est un espace mythique, où on peut faire exister toutes sortes d’états, de sensations. »
Le temps de l’éternel
Mythe parle aussi, évidemment, de ce « récit fondateur ressassé dans les rituels, qui fait partie de l’inconscient collectif ». Du mythe comme espace d’imagination. « Avec les mythes de création, de fin du monde, il est connecté aux débuts et aux fins. Et comme mon spectacle traite de la mort, il y avait ce besoin de créer des commencements aussi, de créer des univers. »
Mykalle Bielinski s’est passionnée pour la vision du philosophe roumain Mircea Eliade, s’inspirant de son essai Aspects du mythe. « Par le mythe, l’humain peut se connecter à un temps primordial, qui est cyclique, à quelque chose de plus grand que lui. Il se [défait] donc de son ego, cette individualité dans laquelle on est pris ces jours-ci. Le mythe, c’est ce qui est unificateur avec la création au complet. [Eliade] dit dans le fond que lorsqu’on est dans le temps du mythe, on est dans le temps de l’éternel, du rêve, où tout est possible. Et se connecter à ce non-temps-là, c’est ce qui donne un sens à la vie. C’est ce qui fait qu’on se dissocie de nos angoisses par rapport à notre finitude. » Elle regrette qu’on touche rarement, maintenant, à ce temps suspendu. Sauf au théâtre, justement.
La créatrice constate aussi que notre mortalité est un sujet dont on préfère ne pas parler. « Si bien qu’on n’a jamais l’impression d’être capable de s’y confronter. Et si on est incapable de faire face à la mort, je pense qu’on a de la difficulté à faire face à la vie. »
« Dans le fond, conclut-elle, en parlant de la mort, je prends un détour afin de pouvoir trouver ce qui donne sens à une vie. Et d’après moi, c’est la création, la rencontre, la célébration, la joie, le don, l’amour. » Et bien sûr, la beauté de la musique.