«Aalaapi»: sur la même longueur d’onde

Aalaapi, qui signifie « faire silence pour entendre quelque chose de beau », c’est d’abord et avant tout un documentaire radiophonique collaboratif québéco-inuit réalisé par Marie-Laurence Rancourt et produit par Magnéto, un organisme qui contribue depuis 2016 à la reconnaissance d’un « cinéma pour les oreilles ». À partir de ce savant assemblage de voix et de bruits, de mots et de silences, d’idées et de confessions, Laurence Dauphinais a imaginé un spectacle de théâtre singulier, un objet de beauté et de lenteur présenté ces jours-ci dans la salle Jean-Claude-Germain du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui.
Durant huit mois, cinq jeunes femmes du Nunavik — Audrey Alasuak, Samantha Leclerc, Louisa Naluiyuk, Mélodie Duplessis et Akinisie Novalinga — ont accepté de se révéler sans contraintes, sans consignes et sans balises. En fait, on sent qu’elles parlent de ce dont elles souhaitent bien parler. C’est à peine si elles sont interrogées. Par conséquent, il n’est pas question, comme c’est trop souvent le cas lorsqu’on s’intéresse aux autochtones, de violence, de toxicomanie, d’acculturation ou d’alcoolisme. Elles évoquent le Nord et le Sud, la tradition et la modernité, la solitude et l’appartenance, le vent et la neige, mais aussi, et peut-être même surtout, leurs aspirations personnelles, ces espoirs qui les habitent malgré tout : « Je veux être libre dans le monde, affirme l’une d’entre elles. Mais ce n’est pas le temps, pas le temps d’être libre. »
Une fenêtre sur l’autre
Sur scène, à l’intérieur et autour d’une maison sur laquelle sont projetés les paysages qui s’étendent à l’infini au nord du 55e parallèle, mais aussi des surtitres et des cartes géographiques, Nancy Saunders et Hannah Tooktoo vaquent à des occupations quotidiennes, interagissent sobrement avec le documentaire audio (d’ailleurs disponible sur l’application et le site d’ICI Première). Par la fenêtre de la maison, on observe les deux jeunes femmes accomplir des gestes banals : cuisiner la banique, boire le thé, tricoter ou consulter leur téléphone.
Mais le fil rouge de leur existence — et par conséquent celui de ce spectacle anti-spectaculaire —, c’est la radio, un média qui tient un rôle crucial dans les communautés nordiques. Toujours allumé, le récepteur est comme une présence rassurante, une narration continue, une veilleuse dans la nuit, un phare dans la tempête, un espace de partage et une courroie de transmission sur un territoire immense. Ainsi, dans une jolie mise en abyme, le documentaire radiophonique rend hommage au pouvoir rassembleur de la radio, à la manière dont les ondes se jouent des frontières et des kilomètres lorsque vient l’heure de rattacher les réalités et de relier les destins.