«Électre»: encore et encore

S’il est un univers que le prolifique Serge Denoncourt a peu fréquenté, c’est bien celui de la tragédie grecque. Quinze ans après Oreste : The Reality Show, un spectacle du Théâtre de l’Opsis qui dépeignait la manière dont certains médias de masse banalisent la violence, voilà que le metteur en scène renoue avec le terrible destin des Atrides en se mesurant à Électre. Traduit par Evelyne de la Chenelière, le texte de Sophocle décortique une horreur toute contemporaine.
Un assemblage de blocs de béton qui évoque aussi bien l’Antiquité que la postmodernité, une passerelle jetée entre le passé et le présent, l’extérieur et l’intérieur, une terre desséchée et un ciel orageux. Sur ce plateau bifrontal, une configuration chère à Denoncourt, pénètre tout d’abord le coryphée (fascinante Caranne Laurent). Une fois que la mendiante aura déposé ses poupées-spectatrices dans les escaliers jonchés de détritus, aux portes du palais royal de Mycènes, les rouages de la tragédie, inéluctables, se mettront en branle.
Parce que sa mère, Clytemnestre (Violette Chauveau), et son amant, Égisthe (Fayolle Jean Jr.), ont tué son père, Agamemnon, Électre (Magalie Lépine-Blondeau) est furieuse. Pour arriver à ses fins, c’est-à-dire assouvir sa vengeance, la jeune femme ne peut guère compter sur sa soeur, Chrysothémis (Marie-Pier Labrecque). Seul Oreste (Vincent Leclerc), son frère, de retour au bercail en compagnie de son fidèle précepteur (Alex Bisping), pourrait accomplir le geste fatal qui apaiserait sa colère.
De manière générale, le jeu est plutôt outrancier, surtout concernant le rôle-titre. Au travers des cris et des lamentations, on se prend à rêver d’une interprétation en retenue, où la nuance serait cultivée, où les mots auraient des valeurs plus contrastées. Cela dit, se déployant dans les costumes aussi bien que dans la musique, sans oublier les choeurs scandés depuis les gradins, l’esthétique moyen-orientale est aussi riche que cohérente.
Créée vers 414 av. J.-C., la tragédie de Sophocle nous ramène aux fondements de la démocratie et à l’exercice de la justice, mais également à nos interminables représailles. Dans la traduction d’Evelyne de la Chenelière, le mot « encore » revient sans cesse, comme un leitmotiv, un avertissement.
Ainsi, pour le quatrième chant du choeur, un texte de son cru, l’auteure fait dire au coryphée : « Quand nous ouvrons un livre d’histoire, nous restons interdits devant tout ce qu’elle ignore encore à l’heure de ses premiers chapitres. Nous sommes devant elle comme devant un nouveau-né dont on pense : il ne sait rien encore, il ne sait rien de ce qui l’attend le pauvre. »