«Kink»: les règles du jeu

Ce qui force l’admiration avec «Kink», c’est le caractère intime de la démarche, son impudeur. Ici, un spectateur-participant se prête au jeu avec Frédéric Sasseville-Painchaud.
Photo: Marie-Noële Pilon Ce qui force l’admiration avec «Kink», c’est le caractère intime de la démarche, son impudeur. Ici, un spectateur-participant se prête au jeu avec Frédéric Sasseville-Painchaud.

En matière de sexualité, le BDSM est certainement l’un des derniers grands tabous. Bondage, discipline, sadisme et masochisme, ces pratiques — non conventionnelles certes, mais tout de même vieilles comme le monde — continuent de choquer les bien-pensants qui n’hésitent pas à les rejeter en bloc. Avec Kink, Pascale St-Onge et Frédéric Sasseville-Painchaud abordent sans détour, mais loin de tout sensationnalisme, et même avec une infinie bienveillance, leurs fantasmes et ceux de la communauté à laquelle ils appartiennent.

Malgré la forte théâtralité du BDSM, le spectacle de 90 minutes s’apparente moins à une réflexion sur le théâtre qu’à une formation, un cours, d’abord théorique, puis pratique, pendant lequel les créateurs-médiateurs transmettent leur passion avec conviction, déconstruisant les préjugés, précisant les règles du jeu. De chaque côté du plateau, le public est pris à parti, interrogé, gentiment impliqué. Sans vouloir normaliser les pratiques, ou même les aseptiser, c’est-à-dire en reconnaissant qu’elles sont subversives et qu’il arrive qu’elles tournent au cauchemar, St-Onge et Sasseville-Painchaud semblent soucieux de les démystifier, notamment en traduisant le respect qui règne lors des soirées de jeu, dans ces donjons où il n’est pas interdit de rire.

Avant même le début du spectacle, on nous expose à une première pratique, la momification, alors qu’un homme gît dans le hall du théâtre, le corps immobilisé dans un cocon de latex. Déjà, le ton est donné. Entre les spectateurs, la conversation est lancée. Durant la représentation, qui implique bien entendu quelques accessoires, on en apprend sur une foule de sujets, du fétichisme à l’humiliation, du fisting à la chasteté, de la domination à la soumission, des instants contrastés que les musiques électroniques de Christophe Godon accompagnent à merveille. Les figures du Petit chaperon rouge et du Grand méchant loup ont beau être récurrentes, lorsque Pascale St-Onge explique l’importance cruciale du consentement — « Je ne fais pas l’apologie du viol et de l’abus, je ne reproduis pas des systèmes de domination machiste. C’est moi qui ai le dernier mot, toujours, et ce, particulièrement quand je me soumets à quelqu’un » —, on comprend que la réalité du BDSM a bien peu à voir avec Fifty Shades of Grey.

Ce qui force l’admiration, c’est le caractère intime de la démarche, son impudeur. D’abord parce que les confessions des créateurs à propos de leur entrée dans cet univers singulier sonnent on ne peut plus vrai, mais surtout parce que certains passages, deux scènes en particulier, expriment avec beaucoup d’acuité la vulnérabilité et la confiance essentielles à la discipline. Je pense au moment où une spectatrice accepte courageusement de faire couler de la cire chaude dans le dos de Sasseville-Painchaud, puis à celui, sublimement sensuel, même aux yeux du néophyte, où Sammy Bessette, spécialiste du kinbaku, ligote savamment St-Onge. Voilà en somme un spectacle qui a la grande qualité d’accroître notre compréhension de la vaste sexualité humaine.

Kink

Texte, performance et mise en scène : Pascale St-Onge et Frédéric Sasseville-Painchaud. À l’Espace libre jusqu’au 27 octobre.

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