«Bonne retraite, Jocelyne»: la galerie des monstres

Pour célébrer sa retraite, Jocelyne a réuni sa famille dans un lieu éminemment kitsch qui évoque à la fois le tout-inclus, l’île déserte et le sous-sol de banlieue.
Photo: Suzanne O’Neill Pour célébrer sa retraite, Jocelyne a réuni sa famille dans un lieu éminemment kitsch qui évoque à la fois le tout-inclus, l’île déserte et le sous-sol de banlieue.

Après Billy (Les jours de hurlement) en 2012 et Pour réussir un poulet en 2014, Fabien Cloutier dévoile ces jours-ci un nouveau portrait de société pour le moins troublant. Avec Bonne retraite, Jocelyne, véritable galerie des monstres, l’auteur et metteur en scène nous oblige à passer 75 minutes avec des êtres dont l’étroitesse d’esprit atteint des sommets, dont l’ignorance crasse donne froid dans le dos, dont l’égoïsme prend des proportions terrifiantes, des hommes et des femmes qui sont, qu’on le veuille ou non, nos proches, nos collèges et nos parents, en somme nos contemporains et nos concitoyens.

Pour célébrer sa retraite, Jocelyne (Josée Deschênes) a réuni, dans un lieu éminemment kitsch qui évoque à la fois le tout-inclus, l’île déserte et le sous-sol de banlieue, sa soeur Brigitte (Brigitte Poupart) et ses frères Justin (Éric Leblanc) et Paul (Jean-Guy Bouchard). Sont également de la partie Jean, le chum de Brigitte (Claude Despins), et Jeanne, la femme de Justin (Sophie Dion). Pour représenter les millénariaux, on peut compter sur les filles de Jocelyne, Ève (Lauren Hartley) et Viviane (Lauriane S. Thibodeau), mais aussi sur Keven, le fils de Justin et Jeanne (Vincent Roy). Composée de comédiens de Québec et de Montréal, la distribution prend l’exigeante partition à bras-le-corps. Mention d’honneur à Brigitte Poupart, qui épouse pleinement le caractère odieux de son personnage, et à Sophie Dion, qui tient avec beaucoup de justesse le rôle du bouc émissaire.

S’apparentant à 24 poses (portraits) de Serge Boucher et à Pourquoi tu pleures… ? de Christian Bégin, la pièce de Fabien Cloutier a encore plus à voir avec Les voisins de Claude Meunier. Flirtant dangereusement avec la caricature, les échanges autorisent bien peu d’empathie envers les personnages. Sur ce champ de bataille couvert de mines que l’on appelle la famille, on discute fort maladroitement de santé, de religion, de culture et de politique. À vrai dire, il n’est toujours question que d’argent, de privilèges dont les protagonistes, incapables de se considérer comme une partie du problème, se sentent injustement privés. De leur point de vue, la faute appartient invariablement aux autres, à la bureaucratie ou au système, aux syndicats ou aux gouvernements, aux riches ou aux pauvres, mais jamais à eux.

Ici comme ailleurs, Fabien Cloutier se tient au plus près des sujets qui fâchent, autrement dit des conflits. Depuis ses débuts, le dramaturge est certainement de ceux qui, courageusement, obstinément, « cherchent le trouble ». L’air de rien, comme si tendre un miroir à son époque était un geste banal, l’artiste donne dans la dénonciation, exprime sa colère, son indignation, sa soif de voir la situation s’améliorer. Soyons clairs, rien de tout cela n’est dans la partition elle-même, la revendication n’est pas explicite, c’est entre les lignes qu’il faudra la chercher, et peut-être plus encore en nous-mêmes, dans les réactions souvent vives que la représentation déclenche, suscite en nous.

Bonne retraite, Jocelyne

Texte et mise en scène : Fabien Cloutier. Une coproduction de la Manufacture, du Trident et du Théâtre français du CNA. À la Licorne jusqu’au 17 novembre. Au Grand Théâtre de Québec du 15 janvier au 9 février. De retour à la Licorne du 4 au 15 juin.

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