«Les fées ont soif »: ainsi soient-elles

Les trois personnages des «Fées ont soif» vont se libérer des archétypes qui leur collent à la peau: les sem­piternelles figures de la mère, de la vierge et de la putain.
Photo: Jean-François Hamelin Les trois personnages des «Fées ont soif» vont se libérer des archétypes qui leur collent à la peau: les sem­piternelles figures de la mère, de la vierge et de la putain.

Après La Bordée, en 2014, dans un spectacle placé sous la houlette d’Alexandre Fecteau, c’est au tour du Rideau Vert de revisiter ces jours-ci Les fées ont soif. Oeuvre fondamentale de notre dramaturgie, page importante du mouvement féministe québécois, la pièce de Denise Boucher, née dans la controverse au TNM en 1978, est cette fois mise en scène par l’une des trois comédiennes de la création, Sophie Clément.

Quarante ans plus tard, Marie (Pascale Montreuil), la Statue (Caroline Lavigne) et Madeleine (Benedicte Decary) reprennent du service. Sous nos yeux, une fois de plus, remettant courageusement l’ouvrage sur le métier, les trois femmes vont se libérer des archétypes qui leur collent à la peau, ces rôles qu’on leur a attribués sans les consulter et qui les emprisonnent : sempiternelles figures de la mère, de la vierge et de la putain. Sur le fond, malheureusement pourrait-on dire, leur chant de libération a bien peu vieilli. On mesure le chemin parcouru, bien entendu, surtout en ce qui concerne la religion catholique, mais il reste que les parallèles à établir avec notre époque d’inégalités, d’abus et d’exploitations, des réalités domestiques aussi bien que professionnelles, sont encore nombreux, et troublants.

En ce qui concerne la forme, par contre, il faut admettre que le « poème à trois voix » de Denise Boucher fait son âge. Les monologues entrelacés des trois personnages sont portés par un lyrisme qui n’a pour ainsi dire plus cours sur nos scènes. À cela s’ajoute l’aspect comédie musicale, ou plutôt cabaret, puisque la pièce est une alternance de paroles dites et chantées (notez que la musique originale de Jean-François Garneau a été remplacée par de nouvelles compositions signées Catherine Gadouas). Vous aurez compris qu’il y a un ton à saisir, une fréquence à écouter, un état d’abandon à atteindre pour se concentrer sur l’essentiel, le propos.

En guise de préambule, les trois femmes apparaissent masquées, engoncées dans des costumes aux formes hypertrophiées, à la fois plus grandes que nature et réduites à leurs « fonctions sociales ». Puis, libérées de ces enveloppes, mais dans des vêtements dorés qui ne laissent pas plus d’ambiguïté sur leurs rôles respectifs, les trois femmes entreprennent, sous le regard insupportablement bienveillant d’une imposante statue de la vierge, leur retour d’exil : « Je ne serai plus jamais nulle part en toi en exil de moi. Me voici debout devant toi, riant au milieu de moi. »

Sans grande imagination, plutôt statique, la mise en scène de Sophie Clément garde les actrices à l’avant-scène, debout, assises ou à genoux. Côté jardin, une pianiste. Côté cour, une contrebassiste. Heureusement, le tableau concernant le viol de Madeleine et ses suites judiciaires, d’ailleurs de loin la portion la plus pertinente et la plus cruellement actuelle de la soirée, est représenté de manière plus inventive. De manière générale, le jeu est plutôt empesé. Un peu moins de pathos n’aurait pas nui. Dans les passages chantés, il faut le préciser, Pascale Montreuil brille de tous ses feux.

Les fées ont soif

Texte : Denise Boucher. Mise en scène : Sophie Clément. Au théâtre du Rideau Vert jusqu’au 27 octobre.

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