Souveraineté-association dans «Quelque chose comme une grande famille»

Pour célébrer 20 ans de création québécoise en été, les collègues du Petit Théâtre du Nord ont fait appel à un complice de longue date, François Archambault. Comédie dramatique postréférendaire, Quelque chose comme une grande famille est une histoire de solidarité en même temps que d’individualité, une réflexion sur l’intime et le collectif à l’aube des années 1980, le portrait attendrissant d’un clan de banlieusards dont les aspirations et les désillusions évoquent certainement celles d’un peuple en pleine redéfinition.
Sous le regard bienveillant de René Lévesque, dont le portrait trône au salon, les membres d’une famille de la classe moyenne se débattent avec leur couple et leur société, leurs amours et leurs employeurs, leurs rêves et leurs rénovations. D’abord, il y a trois inséparables soeurs : Monique (Louise Cardinal), employée de banque, Claire (Mélanie St-Laurent), infirmière, et Dorothée (Marie-Hélène Thibault), ménagère en procédure de divorce. Puis, il y a le mari de Claire, Marcel (Luc Bourgeois), professeur de français au collégial, on ne peut plus indépendantiste, et celui de Monique, Gilles (Sébastien Gauthier), qui vient d’être mis à pied par GM.
Dans un salon évoquant formidablement l’époque, les membres du clan sont réunis pour célébrer Noël, souligner l’Halloween, ou encore pour assister à une victoire des Nordiques sur les Canadiens. Dans leurs vêtements bariolés, ils traversent les joies dans la plus grande allégresse et les épreuves en se serrant les coudes. Plutôt lent, surtout pour une comédie estivale, le spectacle mis en scène par Luc Bourgeois et Sébastien Gauthier a le mérite de nous donner rapidement le sentiment d’appartenir à cette bande de terriens en quête de bonheur, une famille banale et néanmoins haute en couleur. À ces personnages, interprétés avec conviction, on s’attache dans le temps de le dire.
Après avoir consacré une pièce au référendum de 1995, Si la tendance se maintient, Archambault s’intéresse cette fois aux moroses lendemains de la consultation populaire de 1980. Deux procédés apportent rythme et originalité à la pièce. D’abord la narration, assurée par la fille de Claire devenue adulte, c’est-à-dire notre contemporaine, un rôle bien entendu endossé par Mélanie St-Laurent. Puis, ici et là apparaissent d’irrésistibles dialogues entre les protagonistes et le portrait de René Lévesque (auquel Emmanuel Bilodeau donne voix), des scènes de confidences amusantes et de confessions troublantes qui ajoutent beaucoup de relief à la représentation.
Drôle sans être hilarante, sensible sans être poignante, la pièce parvient surtout à cristalliser le défi de taille que pose toujours à l’être humain l’épineuse conjugaison des vies affective, sexuelle, économique et intellectuelle. À ce chapitre, l’émancipation de Dorothée, habitée par une vocation artistique si puissante que rien ne réussira à l’éteindre, est aussi significative qu’émouvante. Trouver sa place dans une famille tout en affirmant son individualité, jouer son rôle dans une société tout en énonçant haut et fort son autonomie, ce pourrait bien être à cela que René Lévesque faisait référence quand il parlait de souveraineté-association.