«Tom na Fazenda»: retour à la terre

Les occasions de vérifier l’universalité d’une pièce québécoise, à travers la vision qu’en apporte une troupe étrangère, ne se présentent pas souvent. C’est donc une scène rare, et franchement touchante, que nous offrait le FTA vendredi aux termes de Tom na Fazenda, alors que le comédien et traducteur Armando Babaioff exprimait — et dans un excellent français, s’il vous plaît — son émotion d’avoir joué ce texte dans la ville même où il avait été créé.
Les comédiens principaux de ce Tom à la ferme lusophone, qui font preuve d’un intense engagement physique, méritaient bien l’ovation qui leur a été réservée ce soir-là. La production dirigée par Rodrigo Portella est à la fois simple et puissante, cohésive, charnelle. Elle met en lumière le récit fondamental d’homophobie et d’amour, de désir et de violence, de vérité et de mensonge, de fossés culturels qui se déploie dans la pièce prenante de Michel Marc Bouchard.
La grande force du spectacle est d’avoir dénudé le drame psychologique de tout apprêt quotidien ou naturaliste, transformant la scène vide en arène des passions, tapissée d’une toile où une boue séchée ne va pas tarder à devenir acqueuse. Un champ de bataille pour les corps mâles, où le désir, la furie et le chagrin vont trouver un exutoire. Cette matière argileuse trouve un écho symbolique dans une oeuvre emplie d’allusions religieuses. Et elle exacerbe la dimension viscérale de ce récit où le citadin Tom découvre, en visitant la famille de son amant mort, la campagne dans ce qu’elle a de beau et d’impitoyable, avec son lot de sang et de tripes.
Incarnée, vraie, aux émotions épidermiques, la mère que campe Kelzy Ecard est en parfaite adéquation avec cet univers terrien. Gustavo Vaz compose un bourreau ambigu, qui illustre la proximité de la haine et de l’attraction, conjuguant la brutalité à une voix douce, un petit rire haut perché. Le Tom de l’excellent Armando Babaioff est vulnérable, sarcastique, délirant. Et la pièce semble faire vivre l’invisible : la présence fantômatique de son amoureux mort, auquel il s’adresse souvent via son cellulaire.
Mais tout le spectacle semble converger vers cette grande scène entre Tom et Francis dans la grange. Un corps à corps magnétique — une chorégraphie signée Toni Rodrigues — qui relève tour à tour ou simultanément de la danse et de la lutte, sur un sol boueux. Dans la nudité des projecteurs, sur une trame sonore stridente, la pièce semble alors acquérir une autre dimension.
Et cette vase encrasse durablement leurs corps, dépose une poussière sur leurs vêtements, imprègne tout comme les mensonges dans lequel ils sont englués. L’image s’avère d’autant plus parlante, une éloquente illustration d’hypocrisie, lorsque Francis confie que garder secrète l’homosexualité de son frère — et à quel prix ! — était sa tentative de conserver leur vie à la ferme « propre »…