«Les Hardings»: l’erreur est humaine

Après avoir été la précieuse complice d’Olivier Choinière, d’Emmanuel Schwartz et de Sophie Cadieux, l’auteure et metteuse en scène Alexia Bürger livre Les Hardings, un premier spectacle bien à elle, un oratorio pour trois voix poignantes, trois comédiens hors pair, trois destins qui s’éclairent mutuellement, réunis dans ce qu’on oserait appeler le mystère insondable du théâtre.
S’il est une fonction clé du théâtre, une action que seuls les meilleurs spectacles, ceux qui sont pour ainsi dire touchés par la grâce, parviennent à accomplir, c’est bien la médiation. Quand la scène sert d’entremise entre les idées et les parties, les termes et les êtres, quand elle agit comme intermédiaire, comme point d’orgue, moins pour arriver à un accord que pour générer des interactions inédites, donner à voir une réalité sous des angles différents, on sait alors qu’on a affaire au travail d’une artiste authentique, une créatrice dont l’intelligence n’a d’égal que la sensibilité.
Dans un véritable coup de génie, Alexia Burger offre la scène à trois hommes réels, trois homonymes, trois Thomas Harding dont on comprendra rapidement qu’ils ont bien plus en commun qu’un prénom et un patronyme. Bruno Marcil est Thomas Harding, le chef de train qui a subi un procès pour négligence criminelle dans la catastrophe de Lac-Mégantic. Patrice Dubois est Thomas Harding, un écrivain anglais qui a perdu son fils dans un accident de vélo causé par un problème de freins. Martin Drainville est Thomas Harding, un assureur états-unien spécialisé dans les compagnies pétrolières.
La partition est une dentelle, une trame de monologues et de dialogues dans laquelle l’auteure entrelace admirablement les destins des trois hommes, leurs doutes et leurs certitudes, leurs fautes et leurs espoirs, mais aussi des idées qui éclairent indubitablement notre époque, des concepts sociologiques, économiques, scientifiques et philosophiques que leurs parcours respectifs, en partie vrais, en partie inventés, permettent de discuter. Dans cette authentique chambre d’échos, il est question de culpabilité, de négligence et de responsabilité, de deuil, de dépression et de traumatisme, en quelque sorte de la valeur d’une vie, au sens propre comme au figuré.
Comme si toute cette adresse dramaturgique n’était pas suffisante, la représentation est de surcroît un véritable objet de beauté. Usant judicieusement de la perspective, des lignes de fuite et de l’inclinaison, la scénographie de Simon Guilbault, magnifiquement éclairée par Mathieu Roy, entraîne le spectateur dans le ventre d’un train abîmé, là où les voies ferrées se croisent, là où les rails convergent, dans un wagon où trois acteurs au diapason expriment la fatalité et le libre arbitre, la souffrance et la résilience, en somme ce qui fait d’eux des êtres humains.