«Madame Catherine prépare sa classe de troisième à l’irrémédiable»: leçon de survie

Le directeur artistique du Surreal SoReal Theatre, Jon Lachlan Stewart, nous offre ces jours-ci l’occasion (trop rare) de découvrir en français, dans la truculente traduction d’Olivier Sylvestre, la pièce d’une auteure anglophone du Canada. Diplômée de l’École nationale de théâtre en 2016, l’Albertaine Elena Belyea signe une comédie noire, grinçante à souhait, un solo qui cristallise ingénieusement le régime de terreur qui prend chaque jour un peu plus d’emprise sur nos vies : Madame Catherine prépare sa classe de troisième à l’irrémédiable.
Dans la salle intime du Théâtre Prospero,habilement transformée en salle de classe par Cédric Lord, les spectateurs incarnent les jeunes élèves de Madame Catherine, surtout ceux des deux premiers rangs, auxquels le personnage campé avec aplomb par Alice Pascual s’adresse directement. En ce dernier jour d’école, les enfants auront droit à une leçon qu’ils ne sont pas près d’oublier, une préparation sans l’ombre d’un euphémisme, rien de moins qu’une méthode en quelques étapes pour survivre à une tuerie en milieu scolaire ! Parmi les nombreux sujets abordés : profilage, sécurité, terrorisme, port d’armes et recours essentiel à un sac à dos pare-balles.
Pour convaincre son public captif, aussi bien dire lui sauver la vie, la professeure, pétrie de bonnes intentions, prend tous les moyens, adopte tous les registres. De la marionnette au rap en passant par le masque, qui lui permet dans une scène particulièrement troublante de donner la parole aux tueurs de Columbine, Polytechnique, Virginia Tech et autres Sandy Hook, elle s’enfonce à vue d’oeil dans ce qu’il est convenu d’appeler la paranoïa. Mais sa peur, réelle, indéniable, c’est également la nôtre. La jeune femme a certes laissé ce sentiment la conquérir, voire la dévorer, mais on ne saurait lui jeter la pierre, tout simplement parce que sa descente aux enfers est le corollaire d’une société dont les citoyens acceptent chaque jour que la peur gagne du terrain.
Pour éviter le banal exercice de style, on peut compter sur le jeu, la comédienne étant constamment sur la corde raide entre la lucidité et la folie, la tendresse et la menace, puis sur les contrastes de la mise en scène, juxtaposant comique et tragique, mais surtout sur la complexité du personnage. C’est-à-dire que l’auteure a pris le temps d’introduire ici et là des informations concernant l’existence de Catherine à l’extérieur de la classe, sur sa vie amoureuse, affective, professionnelle et familiale. Dans ces passages, qui permettent de transcender la figure un brin caricaturale de la professeure zélée, le spectateur risque fort de reconnaître ses propres angoisses… terriblement humaines.