Jocelyn Pelletier s’empare de la pièce de Sénèque

Après son Hamlet-Machine qui ouvrait la saison du théâtre La Chapelle, c’est le second spectacle présenté à Montréal cette année pour le finissant au programme de mise en scène de l’École nationale de théâtre du Canada. Encore une fois accompagné du dramaturge Stéphane Lépine pour adapter le texte, il visite une autre figure classique du répertoire théâtral. Avec des fragments de l’histoire de Phèdre et d’Hippolyte telle que racontée par Sénèque, Jocelyn Pelletier crée un spectacle au propos peut-être fugace, mais recelant de beaux moments d’intensité.
La transformation du théâtre de Sénèque est d’ailleurs une attitude encouragée par Florence Dupont, une latiniste française ayant signé la traduction à partir de laquelle le spectacle s’est bâti. Surtout destinées à être dites (et même vocalisées) par des acteurs masqués, les pièces romaines s’imposent comme des jeux scéniques exhibant leur propre théâtralité. Elles renfermeraient en elles-mêmes moins de significations ou de sens précis que ce à quoi le théâtre actuel peut nous avoir habitués.
Dans la petite salle de l’Usine C, le metteur en scène découpe la pièce antique en épisodes maîtrisés allant du séduisant au disgracieux, et mobilisant autant l’art des interprètes que celui de tous ses concepteurs. Les images captées par une caméra en scène sont reproduites sur une grande toile blanche, dessinant des jeux d’échelles où, par exemple, une main géante agrippe un petit corps. Signée par Francis-Olivier Métras, la vidéo recompose l’espace de la scène pour révéler certains symboles et symboliques souterraines au texte.
De ces tableaux, De l’instant et de l’éternité peine à organiser de manière signifiante l’histoire de la belle-mère amoureuse de son beau-fils si fier de sa chasteté. Le spectacle entremêle tout au plus les thématiques notamment de la pureté, de la vérité et du pouvoir assujetti au vice.
Ce qui séduit, c’est surtout l’appropriation d’un récit tragique aux tonalités grandiloquentes par l’accent québécois. Appuyant par moments le côté comique de la prononciation mâchée du texte, les interprètes (Guillaume Perreault et Isabelle Roy) portent tout de même les vers emportés et déclamatoires avec une puissance et une sincérité tour à tour déboussolante et réjouissante. Mitraillées, leurs tirades jouées avec vigueur s’affirment comme efficaces, et toujours limpides.
À défaut de rendre prenant le récit de Sénèque, de mettre en tension ses fameux personnages ou de charger le spectacle par la tragédie, le metteur en scène offre plutôt un jeu adroit sur l’intensité — allant jusqu’à la saturation puis la douceur lors des scènes finales — et s’approchant d’une certaine beauté.