«Bâtardes»: d’ici et d’ailleurs

Chloé et Jade Barshee nous entraînent dans une captivante quête identitaire.
Photo: Jules Bédard Chloé et Jade Barshee nous entraînent dans une captivante quête identitaire.

Le spectacle de Chloé Barshee et Jade Barshee s’inscrit dans ce qu’on pourrait appeler le théâtre de l’exil indirect, des créations dont les personnages, enfants d’exilés, ressentent un jour le besoin de faire leurs valises pour renouer avec leurs origines, trouver des réponses à leurs questions. On pense bien entendu aux pièces de Wajdi Mouawad et Olivier Kemeid, mais plus encore à celles de Mireille Tawfik, Mani Soleymanlou et Talia Hallmona.

Avec Bâtardes, les codirectrices du Théâtre Everest, nées d’un père tibétain et d’une mère québécoise, nous entraînent dans une captivante quête identitaire, un périple autofictionnel parfois grave, mais souvent désopilant, qui les mènera de Bromont à Dharamsala en passant par le Montréal galvanisant du 22 mars 2012. Sans jamais se prendre au sérieux, évitant le didactisme et le narcissisme, adoptant une dérision irrésistible, les deux soeurs jettent des ponts entre le destin du peuple tibétain et celui du peuple québécois, le passé et le présent, l’enfance et l’âge adulte, la survie et l’indépendance.

Bien entendu, les tableaux ne sont pas tous du même intérêt. Quelques ajustements ici et là seraient souhaitables. Certains blocs, comme celui consacré au Village étoilé, fondation venant en aide aux enfants tibétains en leur offrant… des étoiles, mériteraient de passer à la trappe. Mais les scènes enthousiasmantes, reliées par d’attendrissants films de famille, sont bien plus nombreuses. Mentionnons l’envolée cathartique dans laquelle ont été colligés les 1001 préjugés auxquels les deux jeunes femmes ont été exposées au fil des ans ; la synthèse de la grande épopée du Tibet, aussi drôle qu’instructive ; la spectaculaire apologie du momo, dumpling tibétain des plus appétissant ; sans oublier le credo à deux voix proféré au sommet de l’Everest, un poignant éloge de la bâtardise.

Pour unir les fragments de leur aventure identitaire, les soeurs Barshee ont eu la bonne idée de faire appel à une sorte de monstre. Ainsi, on trouve sur scène avec elles une créature fascinante, un être spirituel, pour ne pas dire totémique, un animal mystérieux qui exprime les pulsions et les passions, les frayeurs et les aspirations, les terreurs et les rêves. Sous son costume multicolore, Mathieu Beauséjour entraîne les deux jeunes femmes dans des danses tour à tour frivoles et cruciales, des élans du corps qui fédèrent brillamment la représentation.

Bâtardes

Texte : Jade Barshee. Mise en scène : Chloé Barshee et Jade Barshee. Une production du Théâtre Everest. Au Montréal, arts interculturels jusqu’au 24 mars.

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