«Chienne(s)»: quand la peur et l’angoisse paralysent

Après Walk-in ou Se marcher dedans en 2009 et Cour à Scrap : Portrait d’une famille reconstituée en 2012, deux spectacles présentés dans la salle intime du théâtre Prospero, Marie-Ève Milot et Marie-Claude St-Laurent sont de retour avec Chienne(s), une création avec laquelle les codirectrices du féministe Théâtre de l’Affamée entreprennent une résidence à la salle Jean-Claude Germain du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui.
La peur. Tout le temps. Partout. Au travail comme à la maison. Dans les rues comme dans les ruelles. Dans les ascenseurs, les cages d’escalier, les stationnements, les viaducs, les stations de métro… Pour la Trentenaire — le personnage que Marie-Claude St-Laurent interprète avec beaucoup de sensibilité —, l’inquiétude, celle que toutes les femmes connaissent peu ou prou, s’est muée en trouble de l’anxiété, une angoisse pathologique, paralysante. Cette crainte continuelle d’un péril imminent plonge la jeune femme dans une telle détresse qu’elle décide, le jour de ses 30 ans, de s’enfermer chez elle.
À partir de cette prémisse, les créatrices dressent un état des lieux, traduisent la nature anxiogène des pressions sociales, professionnelles, familiales, amoureuses et amicales qui pèsent sur les femmes. Non seulement le sujet est crucial, mais il est abordé avec une grande inventivité, avec acuité et humour, lucidité et dérision, et surtout de manière franchement théâtrale, évocatrice, symbolique, loin de tout réalisme plat, de tout sermon, et même de toute approche documentaire, en usant par exemple fort adroitement de la choralité, donnant ainsi une voix aux agressées et aux étouffées, aux pensées fuyantes et aux complexes.
Apparaissent tour à tour la Mère (Louise Cardinal), le Père (Richard Fréchette), la Meilleure amie (Larissa Corriveau) et le Propriétaire (Alexandre Bergeron), sans oublier celle qui pourrait bien être Nidaa Badwan (Nathalie Doummar), cette photographe palestinienne qui vécut pendant 20 mois, entre 2013 et 2015, recluse dans sa chambre. En somme, le spectacle, dont on oserait dire qu’il cristallise le renouveau du théâtre féministe québécois, est un vibrant hommage à l’art, à commencer par celui des femmes, moyen par excellence de tout remettre en cause, de tout virer à l’envers, de passer de l’ombre à la lumière, de la mort à la vie, de l’enfermement à la liberté.