«Le poisson combattant»: sur des flots d’images

L’environnement visuel de la pièce est signé par l'artiste Janice Siegrist.
Photo: Cosimo Terlizzi L’environnement visuel de la pièce est signé par l'artiste Janice Siegrist.

Sauf erreur, c’est aussi grâce à un monologue que les Montréalais avaient pu voir pour la dernière fois une pièce de Fabrice Melquiot : le bellement titré C’est ainsi mon amour que j’appris ma blessure, il y a déjà huit ans, à La Chapelle. Le très prolixe — et pourtant rare ici — dramaturge français a lui-même mis en scène cette production suisse qu’accueille le théâtre Prospero. Un solo, oui, mais très habité, voire formellement chargé, où l’interprète Robert Bouvier partage son huis clos avec un flot d’images, évoquant la frénésie d’un cinéaste qui a perdu son ancrage, ses repères.

Sur fond de vidéos d’avalanches, le protagoniste commence à raconter une catastrophe intime, l’écroulement de son propre univers : le voilà mis à la porte de son couple, d’un bonheur familial qu’il croyait immuable. Ayant trouvé le poisson de sa fille mort, en dehors de son bocal — ce qui est un peu aussi le sort de cet homme chassé de sa maison —, il fera de l’enterrement de cette créature sa nouvelle mission. Dans sa quête, notre homme va errer géographiquement, mais aussi dans la mémoire. Et en retournant vers son enfance, il retrouvera peut-être le courant de sa vie.

C’est dire qu’une certaine fantaisie imprègne ce récit à la prémisse somme toute simple. Il faut s’accrocher, cette fable éclatée empruntant de multiples directions, naviguant d’une dimension semblant parfois anecdotique vers l’onirisme. Jusqu’à un épilogue qui couronne joliment tout ce qui l’a précédé.

Jeu d'enfant

La scène est tendue de draps blancs qui délimitent l’espace rétréci dévolu au personnage, tout en servant d’écrans pour ce qui devient parfois une véritable boîte à images. L’environnement visuel dessiné par Janice Siegrist se fait parfois atmosphérique, parfois très illustratif, créant des partenaires filmiques pour le protagoniste. De temps en temps aussi, un drap se soulève et une collaboratrice tend au comédien un accessoire — par exemple, une chaise de taille réduite symbolisant La Petite. Il y a quelque chose du jeu d’enfant dans ce spectacle en transformation, qui joue aussi avec les surtitres et les voix enregistrées. Quant au comédien, il ne cesse de changer de costume en scène. Jusqu’à revêtir un accoutrement de gamin…

Melquiot a écrit cette partition contrastée spécifiquement pour le Suisse Robert Bouvier. Un comédien à la présence singulière, qui plonge avec grande conviction dans tous les états où l’entraîne son personnage. De la dérision blessée de l’amoureux bafoué jusqu’au risible, « pathétique animal qui surgit de [lui] ». L’interprète porte de bout en bout, sans rien concéder, le virevoltant monologue. Le combattant, ici, c’est lui.

Le poisson combattant

Texte et mise en scène de Fabrice Melquiot. Une production de la Compagnie du Passage. Au théâtre Prospero, jusqu’au 17 mars.

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