«Les robots font-ils l’amour?»: questions de vie ou de mort

Le transhumanisme est une révolution en marche, un changement de paradigme qui s’opère coûte que coûte, un débat crucial auquel on aurait cruellement tort de ne pas s’intéresser. Heureusement, celui-ci s’invite de plus en plus souvent dans nos théâtres. Après Jean-Philippe Baril Guérard et Dominique Leclerc, c’est au tour d’Angela Konrad de discuter le vivant dans Les robots font-ils l’amour ?, un spectacle-colloque inspiré par un essai du même titre signé Laurent Alexandre et Jean-Michel Besnier.
Pour la metteuse en scène, habituée du répertoire, on pourrait croire que ce spectacle est l’occasion d’une incursion hors de sa zone de confort. Or, ce n’est pas tout à fait le cas. D’abord parce que les cinq protagonistes de cette délirante table ronde sont indubitablement tchékhoviens. Mais aussi parce que leur manière de s’engager à corps perdu dans un débat initialement intellectuel, qu’il soit dramaturgique ou scientifique, puis de plus en plus personnel, pour ne pas dire psychanalytique, est précisément ce qui a valu à Konrad autant de succès avec Variations pour une déchéance annoncée (d’après La Cerisaie) et Auditions ou Me, Myself and I (d’après Richard III).
D’un côté, il y a les transhumanistes, ceux qui ont foi en l’avenir, rêvent de l’humain augmenté, placent en lui les espoirs les plus grands. De l’autre, les bioconservateurs, ceux dont l’attachement au passé, ou au statu quo, est un phare dans la tempête. Entre eux, heureusement, quelques indécis. Portés par des comédiens inspirés, les échanges, éthiques, politiques et philosophiques, aussi instructifs qu’inquiétants, abstraits sans être abscons, débordants de conviction, mais de moins en moins cordiaux, prennent finalement une tournure intime. Quand les masques tombent, le théâtre surgit. Chez tous, on découvre alors un drame fondateur, une enfance meurtrie, un désabusement existentiel, une insécurité professionnelle, une cuisante errance et une obsédante soif d’amour.
« L’humain reste une bataille en cours tant qu’il ne s’abandonne pas, et il ne s’abandonne pas tant qu’il pense les choses et les dit avec des mots. » Prononcée sur scène, cette phrase exprime tout autant la nécessité d’un débat sur l’intelligence artificielle que, de manière générale, la fonction capitale de la pensée dans la survie de l’espèce.
Avec un spectacle théorique et ludique, sérieux et burlesque, citoyen et satirique, Angela Konrad démontre que la croissance des nouvelles technologies est à même de susciter un fascinant dialogue entre la science et l’art, les idées et les émotions, les concepts et les sensations, le tangible et l’intangible. Gageons que ce n’est qu’un début.