Théâtre - Derrière le silence
Le retour d'Incendies dans la métropole était attendu après son passage fracassant mais trop court au Festival de théâtre des Amériques l'an dernier. En le programmant ainsi à la toute fin de la saison, sa dernière au Quat'Sous, Wajdi Mouawad en fait un spectacle d'adieux. C'est une façon très personnelle de dire merci à ceux et celles qui l'ont suivi contre cris et silences pendant les années où il a dirigé sans concessions le minuscule théâtre de l'avenue des Pins.
Incendies est revenu clarifié de quelques jours dans l'Outaouais et d'une tournée dans la province française. En particulier après l'entracte, où le dénouement tombe plus rapidement. À mon avis, la finale serait encore plus forte si l'auteur sacrifiait le poème d'amour récité sous la bâche de plastique. Tout ne gagne pas toujours à être dit et redit.Toujours est-il qu'Incendies constitue une formidable enquête pour découvrir ce qui se cache derrière le silence d'une femme. Deux jumeaux entreprennent cette recherche à contrecoeur sous la pression d'un notaire candide et généreux. Comme Îdipe, ils remonteront jusqu'à leurs origines. Mais l'horreur ne brouillera pas leurs yeux. Elle descellera leurs coeurs.
Voici, résumée d'une manière trop énigmatique, une tragédie qui n'a cure des grands mots, du réalisme et de la bienséance. Presque tout le monde s'y crie par la tête ou plonge dans un mutisme entêté. Ici, pas de demi-mesures: une même brutalité emporte la parole et la mise en scène jusqu'à l'apaisement final. Devant une cloison de verre dépoli, il suffit de quelques chaises, d'armes, d'un appareil photo, de cassettes, d'un air de Supertramp, de bouts de tissu ou d'un couvre-chef pour entraîner le public dans des lieux et des situations multiples. L'eau coule à flots sur ce plateau presque vide. De plus, le passé et le présent s'entremêlent dans une continuelle évidence.
Les mots affûtés comme des couteaux de Mouawad sont empoignés par une distribution inspirée qui sait manier profération et lyrisme. À commencer par trois Nawal accomplies: Isabelle Roy la campe ingénue puis brisée à 14 ans; Annick Bergeron la montre luttant pour ranger sa rage à 35 ans tandis qu'Andrée Lachapelle la délivre âprement de ses secrets à 60 ans. Par ailleurs, la soupape comique d'un drame, qui, autrement, serait difficilement supportable se nomme Richard Thériault. Le metteur en scène l'a déniché à Québec. Cet acteur surprenant porte avec dignité et verdeur ce qui est sans doute le plus beau personnage d'Incendies, celui qui voit fidèlement à la réalisation des dernières volontés d'une morte.
Je ne veux pas en dire plus. Incendies appartient au petit nombre de pièces devant lesquelles il convient plutôt de se taire. Du moins jusqu'à ce que l'on puisse échanger en toute connaissance de cause à leur sujet. Pour ça et parce que c'est un spectacle essentiel, il faut avoir vu ces Incendies.