Écrire pour la scène avec le son

Il y a quelque chose d’immédiat, de viscéral, avec le son qui suscite l’intérêt de certains créateurs de théâtre ces temps-ci. Dans son livre La haine de la musique, l’écrivain Pascal Quignard écrit : « Il n’y a pas d’étanchéité de soi à l’égard du sonore. Le son touche illico le corps comme si le corps devant le son se présentait plus que nu : dépourvu de peau. »
L’auteur et metteur en scène Olivier Choinière semble être d’accord avec lui : « Le son et la musique s’adressent à une autre dimension de l’être humain que les paroles. Je considère tout de même que les mots peuvent être des musiques, des effets sonores qui nous touchent et nous transforment. Mais c’est plus flagrant avec le son. On s’adresse beaucoup moins à l’intellect et plus au corps. »
Comme c’est le cas avec les pièces récentes de Choinière (Manifeste de la Jeune-Fille, Ennemi public, Chante avec moi), sa prochaine création ne raconte pas tout à fait une histoire. Elle cherche plutôt à activer une réflexion, même un débat, chez les spectateurs. Et comme dans ses autres spectacles, cela ne se fait pas qu’avec des paroles. « Je crois que c’est important d’importer le son et l’impact du son au théâtre pour être vraiment multidimensionnel, d’ouvrir la réflexion pour que ça ne se passe pas que dans la tête, mais aussi dans les tripes. »
La vérité et le death metal
Intitulée Jean dit, la pièce, qui sera présentée au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui, s’intéresse à une certaine soif de vérité. L’auteur s’éloigne de la fable politique qui était à l’origine du spectacle et bifurque vers une autre forme. « Il y avait des moments où la parole n’appartenait pas à un personnage. C’était quelque chose de l’ordre du cri, du hurlement qui apparaissait sans qu’on sache qui parlait. Comme si les grandes vérités du spectacle étaient énoncées par une voix de death metal. » Choinière met alors sur pied un groupe de musiciens (appelé Jean Death pour l’occasion) qui rejoint la distribution sur scène.
Au fil des répétitions, Choinière et son équipe trouvent de plus en plus de liens forts entre la question de la vérité et la forme qu’ils emploient pour en parler. « Il doit y avoir quelque chose dans la radicalité du chant crié qui est du bord de la vérité. Le death metal est une musique crue, hardcore, sans concessions, et sans masques. »
Conscient qu’il s’agit d’un style rébarbatif ou trop rentre-dedans pour certains, Choinière embrasse la double fonction de cette musique dans Jean dit. « Le death metal agit à la fois comme repoussoir et comme quelque chose qui encercle. Je l’utilise pour faire basculer les personnages vers une perte de repères et pour tenter de brasser notre côté intellectuel, rationnel, logique. »
Visionnez un extrait de Jean dit
De la narration musicale à l’écriture sonore
À propos de ses autres spectacles, Choinière note qu’il arrive à comprendre la forme d’une pièce à partir du moment où il en saisit le beat. « Manifeste de la Jeune-Fille, c’est construit avec des solos, des refrains, des couplets. C’est aussi le cas d’Ennemi public. » Dans cette pièce où tous parlent en même temps, « la saturation des mots devient alors une sorte de musique qui permet au sujet de la pièce de se révéler. »
Et qu’en est-il de l’écriture sonore ? De manière intuitive, la conceptrice sonore et chargée de cours Nancy Tobin estime qu’il y a un engouement dans l’air par rapport à son domaine : « On dirait que les artistes sont davantage intéressés par le fait qu’on peut véritablement écrire pour la scène avec le son. »
Interrogée à ce sujet, la doctorante Maude B. Lafrance avance que les artistes peuvent avoir tendance à doubler le visuel avec le sonore plutôt que d’en profiter pour énoncer quelque chose de différent. Elle convoque les réflexions du compositeur et théoricien Michel Chion. Dans ses écrits sur le cinéma, le chercheur français souligne que le son peut carrément raconter autre chose que l’image afin d’établir de riches dialogues avec elle. Lafrance rappelle que cela s’applique aux arts vivants. On peut notamment le ressentir dans les tableaux scéniques du metteur en scène italien Romeo Castellucci, dont elle a exploré la dimension sonore durant sa maîtrise.
L’un des écueils du travail du son reste la difficulté d’en discuter. « Les images se lisent mieux et demeurent sur scène, remarque-t-elle, alors que les sons nous traversent, passent et ne restent pas. » Même employer un vocabulaire musical s’avère limité. « Ça serait comme analyser un texte uniquement par le prisme de la grammaire. » Les conversations tournent plutôt autour de textures et de matières, se construisent à partir d’impressions, de sensations et de souvenirs.
L’écriture sonore peut charger énormément un spectacle. Elle est susceptible de nous affecter grandement, sans qu’on puisse toujours se l’expliquer. C’est insaisissable. « Le théâtre, dit la doctorante, c’est en grande partie une atmosphère, quelque chose qui enveloppe. Et le travail du son participe à cela. »
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