Théâtre - De chair et de sang

S'il est vrai que l'extase est aussi essentielle à l'humain que l'eau et l'air, comment est-il possible, pour une femme, de l'atteindre au sein d'une société où l'art, la science et la religion sont réservés aux hommes et où l'amour et la maternité lui sont refusés par la guerre qui s'est emparée de tous les époux potentiels? Et les hommes trouveront-ils si aisé d'atteindre à l'impalpable absolu à travers les véhicules qui leur sont pourtant offerts? Tourments, pulsions, douleurs et déceptions colorent le tout dernier univers créé par Michel Marc Bouchard.
Saint-Coeur-de-Marie, 1918. L'épidémie de grippe espagnole menace le village. Pour conjurer le mal, un jeune prêtre dont la beauté suscite bien des convoitises — dont celle d'un riche docteur sanguinaire — commande à un peintre italien une fresque de la Vierge. Toutes les jeunes filles du village rêvent de poser pour le mystérieux et séduisant artiste. Pourtant, celui-ci choisira Marie des Morts, sombrement réputée pour aider les agonisants à passer de vie à trépas. Après tout, seules la tristesse et la douleur sont dignes de se frotter au sacré catholique.Sans faire le procès de l'Église catholique, Le Peintre... en condamne ouvertement plusieurs aspects, dont le sort peu enviable qu'elle réserve aux femmes. Mais au-delà de l'acte d'accusation se trouvent des réflexions, celles-ci passant notamment par le prêtre, tourmenté par la difficulté, voire l'impossibilité, d'adopter un comportement sans tache. L'envie, le désir, la colère et l'orgueil sont-ils véritablement évitables? Et en quoi la religion se distingue-t-elle de la superstition? Que dire de la jeune hôtelière, certes croyante et pratiquante, qui lit dans les plis des draps comme dans les lignes d'une main?
Les rapprochements avec l'univers des Feluettes sont inévitables. On retrouve dans Le Peintre... , entre autres, cette même atmosphère chargée de sexualité, grave, voire préapocalyptique, mais où tout demeure pourtant possible. À ce titre, les éclairages de Martin Labrecque, dont les ombres et les lumières sont autant d'appels au profane et au sacré, au charnel et au spirituel, à l'espoir et à la fatalité, de même que le décor de Guillaume Lord, lieu hybride suggérant autant la grange que la cathédrale, se révèlent des catalyseurs. Les projections vidéo sur une toile de forme ogivale affichent toutefois une pertinence et une efficacité plus contestables. Les images du Christ, d'anges ou de végétaux non seulement sont inutiles mais compromettent l'austérité et l'harmonie de l'ensemble. La présence d'un narrateur, même si ce rôle est assumé par une icône évocatrice, soit un chérubin difforme, est elle aussi d'une utilité discutable.
Reste que la pièce de Bouchard, malgré quelques longueurs, est d'une densité, d'une richesse remarquables. Les pistes de réflexion, les références et les symboles abondent et la mise en scène que signe Denoncourt les révèle admirablement.