Théâtre - Bienvenue au Kit Kat Club
Qui mieux que Denise Filiatrault pouvait mettre en scène Cabaret? Le Théâtre du Rideau Vert a pensé à elle tout de suite lorsque le projet de présenter cette comédie musicale, popularisée par le film de Bob Fosse, s'est concrétisé. L'amalgame parfait du livret et de la musique conjugué à la véracité de son arrière-plan sociopolitique fait de Cabaret une oeuvre à part au répertoire des comédies musicales. Denise Filiatrault y a plongé avec délectation, en compagnie d'interprètes triés sur le volet.
En 1946 paraissait The Berlin Stories, un livre du Britannique Christopher Isherwood regroupant des souvenirs qu'il avait gardés de sa fréquentation des cabarets berlinois émancipés de l'entre-deux-guerres. En 1951, le dramaturge John Van Druten s'est inspiré du livre d'Isherwood pour créer I Am a Camera. Seize ans plus tard, Joe Masteroff s'empare du sujet pour en faire une comédie musicale, qu'il monte à Broadway sous le titre de Cabaret. Le succès est instantané. Joel Grey et la grande Lotte Lenya, entre autres, faisaient partie de la production, qui a tenu l'affiche six ans à New York et qui a été couronnée par plusieurs prix.En 1972, l'adaptation cinématographique réalisée par Bob Fosse, qui a également signé les chorégraphies, a fait connaître Cabaret dans le monde entier. Joel Grey (en MC) et Liza Minelli y étaient particulièrement brillants; le film a récolté huit Oscars. Mais l'histoire de Cabaret ne devait pas s'arrêter là. En 1993, le réalisateur et metteur en scène britannique Sam Mendes en a effectué une mise en scène moins romantique, plus poignante, plus fidèle au caractère déliquescent des cabarets du Berlin des années 30. Autre triomphe.
Cette comédie musicale est la première à caractère politique; elle entremêle habilement deux histoires: celle d'une chanteuse de cabaret du Berlin sulfureux des années 30 qui cherche l'amour auprès d'un jeune Américain de passage et celle de la montée du nazisme dans la capitale allemande. «Pour des raisons sentimentales, je suis très attachée à cette période de l'histoire du XXe siècle; d'abord, j'aime la musique autant que l'esthétique de cette époque, qui se situe à la charnière des styles art nouveau et art déco», explique Denise Filiatrault. «J'étais adolescente à la fin de la guerre de 39-45 et j'ai été fascinée par le déroulement de ce terrible conflit mondial. Si j'avais eu l'âge réglementaire, je pense que je me serais engagée dans les CWACS pour défendre mon pays!»
Plusieurs histoires parallèles se déroulent dans Cabaret: l'histoire d'un vieux commerçant juif et d'une dame qui tient une pension accueillant des artistes; l'histoire de la liaison entre une chanteuse et un jeune romancier; l'histoire d'une ville où tout le monde veut boire et s'amuser pour ne pas voir la menace qui plane. «Quand les intégrismes refont surface, je crois que c'est toujours le temps de revenir à cette période. Le racisme, hélas! n'a pas d'âge et il est toujours présent.» Dans le film de Fosse, deux personnages âgés avaient été rajeunis. «J'ai préféré préserver l'âge de ces personnages, car, comme les autres, ils sont très attachants et donnent un caractère plus réel au spectacle, ajoute-t-elle. Pour renouveler Cabaret, il n'y a qu'à suivre le livret et à faire place aux personnages. Six musiciens seront juchés au-dessus de la scène, comme à Broadway, et un passavant (catwalk) a été construit pour permettre aux interprètes d'avancer jusque dans la salle.»
La «famille Filiatrault»
Pour mener à bien ce projet, Denise Filiatrault a choisi des gens avec qui elle a eu l'occasion de travailler. «Des artistes qui font tout bien, qui ont le talent qu'il faut, autant pour chanter que pour jouer et danser.» La metteure en scène, qui a appris son métier sur le tas, apprécie la formation exhaustive maintenant offerte aux comédiens: «Ces interprètes sont étonnants; ils savent tout faire!», remarque-t-elle.
Les chorégraphies, qui jouent un rôle prépondérant dans le spectacle, ont été confiées à Chantal Dauphinais, qui a déjà chorégraphié Irma la douce (mis en scène par Denise Filiatrault, pour le festival Juste pour rire) ainsi que deux spectacles pour l'Opéra de Montréal. «J'ai demandé à Chantal de travailler dans l'esprit que Bob Fosse avait développé pour Cabaret. Le style de Fosse demeure toujours aussi sensuel, raffiné et étonnamment avant-gardiste, des décennies après la création.» Habituellement, on ne retient qu'un ou deux airs des comédies musicales. «Dans Cabaret, toutes les chansons sont bonnes et nous accrochent! Le sujet est passionnant et le livret est divinement construit; que voulez-vous de plus!»
Denise Filiatrault souhaite que Cabaret rencontre auprès du public un enthousiasme et un bonheur aussi grands que ceux que l'équipe a éprouvés en préparant le spectacle. «J'espère vivement que le spectacle permettra au Rideau Vert de renflouer ses coffres pour que ce théâtre, établi ici depuis 1949 (et où j'ai fait mes débuts en 1957), puisse conserver la place originale qu'il a toujours occupée parmi les théâtres de taille moyenne à Montréal.»
Cabaret
Au Théâtre du Rideau Vert, du 13 avril au 15 mai, supplémentaires du 18 au 22 mai 2004.
Musique de John Kander, paroles de Fred Ebb, traduction d'Yves Morin d'après le livret de Joe Masteroff; mise en scène: Denise Filiatrault; chorégraphies: Chantal Dauphinais; décor: Raymond-Marius Boucher; costumes: François Barbeau. Avec Sylvie Moreau, François Papineau, Stéphane Gagnon, 11 autres interprètes et six musiciens. Info: (514) 844-1783.