«Warda» — Tapisserie identitaire

À l'exception du protagoniste «straight», les personnages de la pièce endossent des identités fluides, mouvantes, parfois des travestissements sexuels.
Photo: Alessia Contu À l'exception du protagoniste «straight», les personnages de la pièce endossent des identités fluides, mouvantes, parfois des travestissements sexuels.

Ce ne sont pas Les mille et une nuits, certes, malgré l’imaginaire moyen-oriental qui l’imprègne, mais il y a un charme certain dans le conte inventé par Sébastien Harrisson. Tissant des fils entre une oeuvre, sa créatrice et son récepteur, l’auteur de La cantate intérieure y illustre à nouveau l’impact d’une oeuvre artistique, mais d’une manière différente.

Dans Warda, un jeune financier montréalais, Jasmin, (Hubert Lemire), en voyage d’affaires à Londres, cherche son chemin. (Perdu, il l’est aussi métaphoriquement, découvrira-t-on.) Il engage une étrange conversation avec un vendeur énigmatique (Salim Talbi), où l’on n’est plus trop sûr de ce qui est l’objet du marchandage. Une transaction centrée sur un tapis persan, que ce drôle de marchand refuse toutefois de céder contre de l’argent… De mot de passe secret en clé ouvrant une armoire familiale, de Bagdad à Anvers, Jasmin va recueillir lors d’un bref voyage initiatique les indices pour résoudre cette énigme aux accents existentiels.

D’abord créée en 2016 à Bruxelles au théâtre du Rideau, cette coproduction multilingue du Théâtre des Deux Mondes porte aussi sur ces questions identitaires elles-mêmes. Parler la langue d’autrui, c’est un peu apprendre comment on se sent dans ses souliers, dit en substance une réplique du texte. Dans Warda, sauf le protagoniste straight, les personnages endossent des identités fluides, mouvantes, parfois des travestissements sexuels. Le Belge d’origine arabe, notamment, se dérobe constamment, sorte de déversoir des fantasmes ou craintes collectifs.

Si, une fois révélé, le thème sous-jacent s’avère très simple, banal même (et c’est peut-être sa limite), c’est comment le dramaturge québécois l’enrobe, le trajet, qui séduit, avec ses couches de mystère, son humour. Chaque tableau possède un peu sa propre couleur. Le tableau parisien, où Violette Chauveau offre une composition haute en couleur, est ainsi campé dans un registre plutôt boulevardier, avec ses nombreux quiproquos langagiers, gracieuseté d’une étudiante de philosophie anglophone (Victoria Diamond).

Mise en scène avec simplicité et précision par le Belge Michael Delaunoy, la coproduction évite en gros les écueils parfois associés à ces spectacles hybrides, comme une distribution à plusieurs vitesses. La sienne — qui a nourri dès le départ la création — est solide.

Postée un peu en dehors de la scène, s’adressant directement aux spectateurs, la Flamande Mieke Verdin déploie beaucoup de présence et de truculence dans un rôle qui apparaît d’abord comme bavard et assez superflu. Mais le personnage finit par trouver sa raison d’être dans une pièce où les échos entre les différents niveaux de réalité, concret, imaginaire, philosophique, sont tous liés, où tous les fils de ce tapis magique qu’est la trame sont attachés.

Warda

Texte de Sébastien Harrisson. Mise en scène de Michael Delaunoy. Un spectacle des Deux Mondes en coproduction avec le théâtre du Rideau de Bruxelles. Au théâtre Prospero, jusqu’au 3 février.

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