«La meute»: dans la gueule du loup

«La meute», avec Lise Roy, Guillaume Cyr et Catherine-Anne Toupin, est un texte bouleversant, courageux, percutant en même temps que d’une finesse admirable.
Photo: Suzane O’Neill «La meute», avec Lise Roy, Guillaume Cyr et Catherine-Anne Toupin, est un texte bouleversant, courageux, percutant en même temps que d’une finesse admirable.

Dix ans que Catherine-Anne Toupin nous tenait en haleine. Deux décennies à espérer que l’auteure d’À présent jette à nouveau ses lumières dans les abîmes de l’âme humaine. Commençons donc par affirmer que l’attente n’aura pas été vaine : La meute est un texte bouleversant, courageux, percutant en même temps que d’une finesse admirable.

Pour nous entraîner sur le territoire de la persécution, à la rencontre d’une violence inouïe, tout en évitant la caricature, le manichéisme qui l’attendait pourtant à chaque détour, l’auteure s’est assurée que le portrait d’ensemble présente les nuances nécessaires, que ses personnages soient pétris de paradoxes, que ses situations soient d’une complexité vertigineuse, que le récit ne cesse d’emprunter des voies nouvelles. Quand il s’agit de nous tirer le tapis sous les pieds, Catherine-Anne Toupin n’a pas son pareil.

Après avoir conduit toute la nuit, Sophie (Catherine-Anne Toupin) débarque chez Martin (Guillaume Cyr, époustouflant) et sa tante Louise (Lise Roy), dans « un coin reculé », pour louer une chambre. La jeune femme est dans un piteux état. Mise à pied par son employeur, hantée par des paroles terriblement injurieuses, elle a besoin de « prendre un peu de recul ». En quelques jours, l’alcool aidant, Sophie va se lier à ses hôtes d’une manière totalement inattendue. On pourrait difficilement en dire plus sur l’intrigue sans en dire trop, on se contentera donc d’affirmer qu’elle est implacable, parsemée de renversements ahurissants.

Il y a beaucoup à parier que les dramaturges québécois ne font que commencer à dépeindre les dérives de l’Internet, ces atteintes à la vie privée dont la perversité ne cesse de croître. Trolling, flaming, doxxing, fat shaming et revenge porn, le cyberharcèlement prend des formes et des proportions qui glacent le sang. Avec des mots justes et des images fortes, des gestes terriblement crédibles et des situations souvent insoutenables, des personnages abjects sans être monstrueux, Catherine-Anne Toupin nous oblige à respirer l’écoeurant remugle que dégagent les bas-fonds du Web.

Dans cette matière, anxiogène à souhait, Marc Beaupré est comme un poisson dans l’eau. Situant les corps dans un espace épuré, froid, mais surtout évocateur, principalement grâce à l’exceptionnelle conception d’éclairages de Julie Basse et Étienne Boucher, le metteur en scène donne naissance à des moments d’apesanteur qui transcendent admirablement le huis clos. S’imposent alors les lignes de force, cette lutte impitoyable entre la cruauté et la vulnérabilité, le bourreau et la victime, le besoin de détruire et celui d’aimer, puis, en fin de compte, l’espoir d’une forme de réparation.

La meute

Texte: Catherine-Anne Toupin. Mise en scène: Marc Beaupré. Une production du Théâtre de la Manufacture. À La Licorne jusqu’au 17 février.

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