«Là où le sang se mêle»: au confluent du passé et de l’avenir

Au centre du cercle formé par le public, de fines lignes traversent la scène. Un sol fracturé, ou bien le tracé des cours d’eau qui se mêlent dans le coin de pays de l’auteur Kevin Loring ? Créée en 2009 et lauréate du Prix littéraire du Gouverneur général, la pièce Là où le sang se mêle raconte les vies au présent de quelques rescapés des écoles résidentielles. Après l’avoir interprétée en anglais à Montréal en 2012, Charles Bender signe la traduction et la mise en scène de la version française présentée à Fred-Barry. Après Muliats, il s’agit de la seconde création des productions Menuentakuan.
L’histoire composée par Loring, lui-même Nlaka’pamux de la nation Lytton en Colombie-Britannique, met en scène deux autochtones dans leurs moments d’ivrognerie. Floyd et Quêteux se retrouvent au bar comme ils semblent toujours le faire. Leurs conversations amusées avec le barman provoquent rires et sourires, mais leurs vies difficiles se laissent entrevoir : jeu compulsif, soûleries excessives, vols répétés. L’annonce de paiements pour les dédommager de la violence des pensionnats et la nouvelle du retour de la fille perdue de Floyd viennent réveiller la part d’ombre qui les habite. Comment vivre avec ce passé ? Et comment envisager un avenir ?
Là où le sang se mêle illustre une quête d’origine hésitante et une volonté fragile de futur qui ont du mal à se rabouter. Elle rend aussi manifestes la nécessité et la pertinence du point de vue des artistes autochtones sur les scènes. Il est donc malheureux que le spectacle n’arrive pas à être prenant.
Prévisible, le texte comporte plusieurs maladresses qui étouffent le récit, notamment en rendant l’introduction longue et répétitive, les dialogues assez informatifs et l’apogée du drame plutôt appuyée. La mise en scène dynamise de manière convenue la succession de scènes et peine à donner davantage de souffle au texte ou à dépasser son côté didactique.
On aurait voulu aimer davantage cette pièce. Au détour des dialogues, il y a tout de même une imagerie évoquant de jolis paradoxes du paysage. Comme Quêteux qui s’interroge sur les poissons qu’ils mangent, mais qui ont préalablement dévoré les corps des humains ayant péri dans la rivière. Et la présence à la fois puissante et fragile de Marco Collin, interprétant le bourru Floyd, reste touchante. La beauté de ses élans volontaires et de sa retenue surpasse les moments interprétés avec moins de justesse. Il y a finalement quelque chose de beaucoup plus fort dans le fait de porter ce spectacle avec conviction que dans la pièce elle-même. Et peut-être que cela compte.