«Warda»: Michael Delaunoy et Sébastien Harrisson sur un tapis volant

L'auteur Sébastien Harrisson et le metteur en scène Michael Delaunoy se sont rencontrés en 2000. Ils savaient qu’un jour, une production conjointe naîtrait.
Photo: Pedro Ruiz Le Devoir L'auteur Sébastien Harrisson et le metteur en scène Michael Delaunoy se sont rencontrés en 2000. Ils savaient qu’un jour, une production conjointe naîtrait.

Il y a plus de 15 ans que Sébastien Harrisson et Michael Delaunoy caressaient le rêve de croiser le fer. Leur coup de foudre professionnel s’est produit à Bruxelles, en 2000, à l’occasion d’un événement consacré aux écritures dramatiques du Canada et de la Belgique. Le Québécois voyait alors Titanica, la pièce qui allait le révéler au public montréalais l’année suivante, mise en lecture par le Belge. « Je suis tombé sous le charme de ce théâtre à la fois élisabéthain et contemporain, explique Delaunoy. Quelques années plus tard, à Limoges, j’ai dirigé la lecture d’une autre pièce de Sébastien, La traite des peaux. » Depuis, les deux créateurs ne se sont plus perdus de vue, sachant pertinemment que le jour de la collaboration viendrait.

Créé en 2016 au Rideau de Bruxelles (le lieu que Delaunoy dirige depuis 2007), coproduit par les Deux Mondes (la compagnie dont Harrisson est le directeur artistique depuis 2013), Warda sera présenté au théâtre Prospero à compter du 16 janvier. « Ça a pris du temps parce qu’on attendait la bonne occasion, explique l’auteur. On tenait à ce que le spectacle naisse très spécifiquement de notre association, qu’il s’agisse d’une véritable coproduction internationale, avec des créateurs et des interprètes issus des deux pays, un croisement de territoires, de langues, de cultures et d’imaginaires. À vrai dire, je ne vois pas l’intérêt de rassembler des artistes d’horizons divers si on n’aborde pas dans le spectacle le choc que provoque leur rencontre. »

Warda nous entraîne de Londres à Montréal, en passant par Anvers, Paris et Bagdad. Réunissant Violette Chauveau, Hubert Lemire, Salim Talbi, Victoria Diamond et Mieke Verdin, la pièce croise l’anglais, le néerlandais, l’arabe et le français. « Les interprètes m’ont beaucoup inspiré, explique Harrisson. Ce sont leurs vies, pas banales, mais aussi leurs forces, comme acteurs, qui ont guidé mon écriture. Ils étaient avec nous dès le départ, tout comme les concepteurs, Gabriel Tsampalieros à la scénographie et aux costumes, Eric Ronsse au son et Laurent Kaye aux éclairages. C’est un processus tout à fait nouveau pour moi. »

Ayant vu le jour à Bruxelles en avril 2016, le spectacle a nécessairement été teinté par les attentats terroristes du 22 mars. Le metteur en scène se souvient : « Après les attentats de Paris, en novembre 2015, puis ceux de Bruxelles, alors tout récents, disons que c’était très particulier de jouer les scènes qui évoquent le terrorisme. Reprendre le spectacle maintenant, presque deux ans plus tard, nous permet d’adopter un recul bénéfique. Sébastien aborde ce sujet délicat avec un humour très fin, en épinglant le trouble, en recensant les fantasmes, tout ce qu’on projette sur la figure de l’Arabe, de la cellule terroriste jusqu’aux mille et une nuits en passant par le harem et la mosquée. »

Après un séjour à Londres, Sébastien Harrisson a développé une véritable fascination pour les tapis persans, une passion qui aura une influence déterminante sur l’écriture de Warda. « J’ai beaucoup lu sur le sujet, explique-t-il. Les tapis persans sont des plans, des récits, des jardins, des miroirs, des architectures complexes qu’on ne finit jamais d’explorer. Si bien que j’ai décidé de faire de cet objet d’art la métaphore fondamentale de la pièce. Cela m’a permis de convier les registres les plus divers, d’aller du conte pour enfants, inventé de toute pièce, jusqu’aux écrits de Michel Foucault sur l’hétérotopie, localisation physique de l’utopie dont le tapis persan serait le parfait exemple. »

Pour Michael Delaunoy, c’est un défi de taille que d’incarner un texte qui passe dans un claquement de doigts d’un lieu à un autre, un récit fragmentaire où les fantômes sont légion : « On est dans un univers franchement théâtral, c’est-à-dire qui fait la part belle à l’évocation. Hormis Jasmin, le héros, notre seul véritable contact avec le réel, tous les personnages procèdent à des transformations, présentent des identités multiples. À mon sens, c’est le tapis qui permet à Jasmin de voyager dans le temps et l’espace, mais toujours à partir d’un endroit précis, concret, qui agit en quelque sorte comme une scène de théâtre, une page blanche, un lieu épuré, celui de tous les possibles. »

Expressions du désir

 

Le désir, sous toutes ses formes, tient une place de choix dans le spectacle. « C’est l’enjeu principal, avoue l’auteur. Il y a bien entendu le désir pour l’objet, la convoitise, la consommation, l’achat et la possession, mais aussi, et peut-être même surtout, le désir pour l’autre. Qu’il soit sexuel ou relationnel, amical ou professionnel, le désir nous pousse à la découverte de l’autre, de sa réalité, en somme il nous guide, nous stimule, nous incite au mouvement. Avec le désir, on construit des univers entiers, réels et virtuels. Qu’on le veuille ou non, le désir fait toujours partie de la donne, pour le meilleur et pour le pire. »

Dans la pièce, Anneleen, auteure d’un conte pour enfants qui met en vedette la petite Warda, explique : « Les gens pensent que le désir est la chose sur laquelle ils mettent un nom ou un prix. Mais le désir ce n’est pas une chose… Pas quelque chose qu’on peut commander… Non, c’est un vide. Een leegte… Deux mains vides qui se tendent, qui plongent dans l’obscurité, sans savoir ce qu’elles vont trouver, sans savoir si ce sera doux ou coupant. »

Warda

Texte : Sébastien Harrisson. Mise en scène : Michael Delaunoy. Une coproduction des Deux Mondes et du Rideau de Bruxelles. Au théâtre Prospero du 16 janvier au 3 février.

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