Théâtre - Acerbe et riche

Paul Lemelin et Tara Nicodemo dans une scène de la pièce The Shape of Things, de Neil Labute, mise en scène par Gordon McCall au Théâtre Centaur, à Montréal. Source: Yanick McDonald
Photo: Paul Lemelin et Tara Nicodemo dans une scène de la pièce The Shape of Things, de Neil Labute, mise en scène par Gordon McCall au Théâtre Centaur, à Montréal. Source: Yanick McDonald

Dans le courant des films américains proposant une critique acérée de la société de l'Oncle Sam — dont le plus populaire est sans doute American Beauty — s'inscrivent sans conteste certains films de Neil Labute. Offensifs et décapants, Your Friends and Neighbours, In the Company of Men et son pendant féminin The Shape of Things s'attaquent aux relations entre hommes et femmes rendues pernicieuses par une société décadente. Ce que l'on sait moins, par contre, c'est que le cinéaste américain est aussi dramaturge et que The Shape of Things était avant tout une pièce de théâtre. C'est sans doute ce qui explique, de pair avec la qualité de la production présentée par le Centaur, que ceux qui auront déjà vu le film ne seront absolument pas déçus par le spectacle mis en scène par le directeur de ce théâtre montréalais, Gordon McCall.

Dans le musée d'une petite ville américaine anonyme, une étudiante en arts s'apprête à dénoncer la pudibonderie iconoclaste qui a si bien fait rage dans toute l'Amérique du Nord à une certaine époque que statues, fresques et tableaux représentant des corps nus ont été altérés, affublés de vêtements rapportés, de feuilles de vigne et autres cache-sexes. Pour ce faire, elle entend peindre un pénis sur l'apport végétal dont a été gratifiée une statue. Elle rencontre, en la personne du gardien du musée, le parfait perdant, Adam, un jeune homme gauche, introverti et bien peu séduisant. Débute entre ce dernier et la superbe, intelligente et déterminée Evelyn une histoire d'amour qui, comme bien d'autres, se concrétisera par la transformation du jeune homme en un bellâtre musclé et confiant, prêt à tout pour plaire à son Pygmalion. Jusqu'où cela ira-t-il? En dire plus serait cruel, car la surprise est de taille.

Le texte de Labute propose une réflexion sur les relations de couple, sur les valeurs auxquelles adhèrent nos contemporains, sur l'importance des apparences, puis enfin — et c'est ce qui achève de conférer à la pièce son indiscutable richesse — sur les limites de l'art. Peut-on faire n'importe quoi, n'importe quel geste au nom de l'art? Que peut-on qualifier d'oeuvre d'art? L'art peut-il changer la société?

McCall, à l'aide des éclairages maîtrisés de Luc Prairie, du décor à deux étages et à usages multiples de Déline Petrone, de musiques actuelles, entraînantes et pertinemment reliées au propos de la pièce et enfin de la performance plus que convaincante des quatre jeunes comédiens, parvient à créer un spectacle dynamique, réaliste, moderne et captivant. Fait à noter, la distribution ressemble étrangement, physiquement, à celle du film de Labute. Cela laisse croire que McCall, ayant déjà opté pour une pièce plutôt audacieuse, ne voulait pas déstabiliser les spectateurs qui auraient vu et apprécié le long métrage. Chose certaine, ces derniers, tout comme ceux qui se frotteraient pour la première fois à l'univers de Labute, sont appelés à être ravis par le spectacle du Centaur.

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