«Gamètes», une féconde sororité

La complicité entre Rébecca Déraspe et la compagnie Les Biches pensives est manifeste. Les comédiennes Annie Darisse et Dominique Leclerc avaient inclus, en 2010, un monologue de l’auteure dans leur spectacle polyphonique Nous sommes faits (comme des rats). L’année suivante, elles présentaient Deux ans de votre vie. Pour Gamètes, Darisse et Leclerc ont demandé à Déraspe de composer une pièce « autour de l’accomplissement au féminin ». Mis en scène par Sophie Cadieux, le spectacle raconte avec sensibilité et humour un moment de crise entre deux personnages à l’amitié irréductible.
C’est jour de fête et Aude débarque chez sa plus grande amie, Lou, pour lui annoncer qu’elle est enceinte d’un enfant trisomique. Lou déclare aussitôt qu’Aude devra se faire avorter si elle souhaite s’épanouir. Aude affirme que la maternité offre plutôt un avenir heureux. Un conflit éclate entre les deux amies, visiblement rompues aux discussions animées. Reproches, déni, peurs, projections ; leur différend prend rapidement de l’ampleur. Au fil du récit, la pièce aborde de front et en creux plusieurs enjeux féministes, mais donne surtout à voir la sensible quête de cohérence entre les décisions d’ordre intime et les gestes à la portée symbolique.
Joute de langage
La mise en scène de Cadieux s’écarte du réalisme pour mieux faire vibrer la langue rythmée de Déraspe. Les interprètes adoptent dès l’ouverture un débit rapide, où les paroles mitraillées participent à installer la complicité entre les deux amies. Dans l’appartement meublé uniquement de deux chaises et de deux plantes, Aude et Lou étoffent leur conversation en rejouant des moments clés de leur passé et voyagent dans le temps avec une saisissante fluidité. L’esthétique léchée et séduisante du décor, des costumes, des lumières et de la musique contribue à garder le drame dans la joute des idées et du langage à laquelle se livrent les deux complices.
En prenant comme objet de discussion la trisomie annoncée de l’enfant d’Aude, le texte provoque avec humour, mais reconduit maladroitement certains préjugés sur les handicapés mentaux. Alors que Déraspe jongle joyeusement avec les clichés du féminisme et du féminin en les confrontant habilement au réel, ceux sur la trisomie se justifient plus difficilement. Même si elle est employée de manière théorique pour servir un argumentaire orbitant autour d’un autre sujet, l’opposition binaire entre des visions angélique et sinistre de la déficience mentale peut éveiller un certain malaise.
Conçue par une équipe majoritairement féminine, Gamètes a attiré des représentantes de Femmes pour l’équité en théâtre (FET) qui ont célébré, lors de la première à La Licorne, la programmation d’une pièce menée par autant de femmes. Souhaitons que toutes ces solidarités soient fécondes.