Retour vers le futur

L’année 2017 sera-t-elle aussi catastrophique que la dénigrée 2016 ? Disons que ça part mal quand les gars les plus baveux en ville s’apprêtent à en imaginer les grandes lignes. Après la radio et la télédiffusion sur ICI ARTV, les artisans de La soirée est (encore) jeune franchissent donc une nouvelle étape et transportent à la scène leur complicité irrévérencieuse. Avec un ajout au boys’ club : le dramaturge-humoriste-comédien Fabien Cloutier, choisi à la fois pour sa « communauté de pensée » et pour sa complémentarité avec le quatuor.
Prédictions 2017 prendra la forme d’un bulletin de nouvelles télévisé où défileront les grands moments de l’année à venir. « À La soirée, on est toujours pris avec l’actualité, remarque le si posé Olivier Niquet, à dix jours de l’attendue première. Ici, on peut l’inventer, c’est ce qui fait que c’est différent, et qu’on ne se répète pas trop. J’espère. » Cet archiviste de la bêtise utilisera comme d’habitude des extraits de citations réelles pour parler sports et médias. Et on y retrouvera tel quel son style tranquille. « [Le metteur en scène] Serge Denoncourt m’a dit qu’il avait décidé de ne pas travailler avec moi parce qu’il aimait beaucoup mon absence d’énergie… »
Chacun conserve le créneau qui fait sa force : le socio-politique pour Fred Savard, la culture pour Jean-Sébastien Girard, avec Jean-Philippe Wauthier à l’animation et « Fabien [Cloutier] qui est un peu bizarre là-dedans ». Comment l’intrus s’intègre-t-il ? « Moi, je ramasse les vrais sujets : l’environnement, la philosophie, la religion, les avancées technologiques, rétorque-t-il. Mais c’est l’angle de traitement qui compte. C’est souvent là que j’essaie de surprendre, ou d’avoir l’air d’arriver de nulle part. »
Chacun a d’abord écrit ses propres textes. Mais les compères ont davantage travaillé ensemble pour unifier le spectacle qu’ils ne le font à la radio. Ce qui offre une grande différence avec une émission dont l’un des atouts loge dans la spontanéité des réactions. « Déjà, je ne nous trouve plus drôles après avoir entendu les gags 10 000 fois, blague Olivier. Je pense qu’on va laisser une petite place à l’improvisation, pour surprendre nos collègues de temps en temps. »
Liberté totale
Déjà connue pour son ton caustique, la bande de La soirée pourra encore plus se lâcher « lousse » sur scène, estime Olivier Niquet. « Moi je me sens un peu plus libre, uniquement pour une question de langue. Pas qu’on soit censurés à Radio-Canada, mais il y a quand même un niveau de langage à respecter. » Même dans la foulée de l’affaire Mike Ward, où l’on se questionne beaucoup sur les limites de l’humour, la scène « continue d’être l’un des derniers remparts de liberté, je vais oser dire totale », affirme Fabien Cloutier. « Moi, à partir du moment où quelqu’un veut que sa morale à lui devienne celle de tous, j’ai un petit problème. »
L’humoriste d’Assume ajoute par contre que le récent débat a semé un malentendu sur « la judiciarisation des contenus à la télévision ». « Ce qui a été beaucoup entendu, c’est que les humoristes veulent conserver la liberté de rire du pauvre, du petit. » Des groupes qui, contrairement aux puissantes organisations, n’ont pas d’avocat pour envoyer des mises en demeure. « Et c’est de ça que les compagnies d’assurance ont peur. Alors, c’est tout à fait le contraire : ce sont ceux qui ont le pouvoir et l’argent qui utilisent la machine juridique pour faire taire des gens. »
La « gang » radiophonique a déjà connu sa propre controverse, autour d’une blague sur les habitants de Québec — dont certains le leur ont bien rendu en chahutant leur première présence scénique l’été dernier, expérience dont le quatuor s’est souvent lui-même gaussé. Et si La soirée est (encore) jeune a la réputation dans certains cercles d’émission montréalo-gauchisante, le ridicule y est généralement bien partagé. « Je pense qu’on tire pas mal sur tout le monde, incluant nous, tempère Olivier. En réalité, on n’est pas si à gauche. On est davantage contre la bêtise. Et ça adonne souvent qu’elle est à droite… » Dans Prédictions 2017, Fred va se moquer par exemple de tendances comme les « histoires d’appropriation culturelle et de micro-agressions », donc d’une certaine rectitude politique.
Le spectacle « ne sert pas d’autre cause que celle de faire rire », assure le Beauceron Fabien Cloutier. « Sûrement que nos opinions y transparaissent, mais j’espère qu’on réussit à faire un humour inclusif, que personne dans la salle ne se sente juste conforté. » Et que chaque spectateur se sente confronté à un moment, plutôt que de seulement rire des autres. « C’est lorsque les publics se mêlent que ça devient très intéressant. »
Cet élargissement du public au-delà des fans semble inévitable : les collaborateurs de La soirée sont désormais partout, et leur spectacle est épaulé par la machine très grand public de Juste pour rire — d’où émane le projet. Ils sont donc rendus mainstream ? « Un peu, quand même », concède Olivier Niquet, grâce à toutes ces ramifications extérieures.
Sans pourtant que ça altère, affirme-t-il, le ton mordant de leurs productions communes.
Pince-sans-rire, le chroniqueur note par ailleurs qu’une promotion deux pour un de Juste pour rire propose des billets pour leur spectacle et le Slava’s Snowshow. Alors, si vous aimez les gentils clowns…