La révolution par le silence

À défaut d’avoir eu des suites dans la réalité, le printemps érable aurait commencé à donner des fruits… dramaturgiques. Des pièces nourries par le mouvement contestataire de 2012 sont en train d’émerger, estime Sébastien David. « C’est comme si les auteurs avaient eu le temps de décanter », dit-il, en citant Antigone au printemps, de Nathalie Boisvert, qui sera créée à Fred-Barry en avril prochain. Sa propre création, Dimanche napalm, ne porte pas sur les enjeux du printemps érable, « mais sur ce qu’il a laissé ».
Si lui-même n’est pas à l’aise dans l’action militante, l’auteur trentenaire s’avoue nostalgique des années 1970, cette époque où le Québec était effervescent. Et au-delà des causes de la grève étudiante, c’est sa dimension collective qui a été très forte. « Après, on dirait que tout s’est re-segmenté. C’est ce qui m’a vraiment désillusionné : les initiatives citoyennes sont boudées aujourd’hui. Comme si on voulait que le citoyen ferme sa gueule, qu’il soit tranquille et obéisse. »
De retour dans la banlieue familiale après l’échec des manifestations, immobilisé à la suite d’une chute délibérée, le jeune protagoniste de Dimanche napalm poursuit la révolution « par l’intime ». En faisant la grève des mots. Le silence du Fils (Alex Bergeron) devient un catalyseur sur lequel son entourage va déverser confidences, désirs inaboutis. Ou des exhortations à arrêter de rêver — « ça fait perdre du temps » — par la Mère, qui fait valoir un discours « utilitariste » du gros bon sens.
La cassure
La pièce explore donc la cassure entre les générations, palpable à l’issue de la grève, qui a laissé chez beaucoup de Québécois la perception que les jeunes s’étaient comportés comme des enfants gâtés, constate Sébastien David. Sans être du théâtre politique, c’est la pièce la plus sociale écrite par le dramaturge des Morb(y)des et des Haut-parleurs — texte pour lequel il est finaliste au Prix du Gouverneur général. Il croit que les spectateurs vont reconnaître le Québec dans cette peinture d’une famille trigénérationnelle. « J’essaie d’y mettre des échos de ce qu’on a été, de ce qu’on pense qu’on est aujourd’hui. C’est une espèce de portrait impressionniste. » La situation que Dimanche napalm met en scène va-t-elle conduire à une explosion ?
La pièce est née du contraste entre deux photos juxtaposées dans un journal : une de la manifestation étudiante et celle de la jeune fille au napalm, issue de la guerre du Vietnam. « On est un pays un peu hors du monde, constate David. Aussitôt qu’il y a un débordement, un conflit, ici, on ne sait pas comment le gérer. Mais on n’est pas plus capables de soutenir le silence. Et c’est un peu ça que la pièce met en relief. Alors, qu’est-ce qu’on veut finalement ? »
Cinq ans après avoir réussi une brillante entrée en écriture avec T’es où Gaudreault et Ta yeule Kathleen, Sébastien David change d’univers social. « Mais je travaille toujours à partir de l’ordinaire. Qu’ils soient d’un milieu urbain défavorisé ou de la classe moyenne, tous ces personnages ont quelque chose en commun : ils sont empêtrés dans une vie quotidienne sur laquelle ils n’ont pas beaucoup de pouvoir. »
Reste qu’écrire cette histoire, qui s’est imposée à lui, a été vraiment difficile. « Ça m’a pris trois ans. J’ai failli abandonner plusieurs fois. Parce que ça parle davantage d’où je viens, c’était très confrontant. Et même si ce n’est pas du tout ma famille qui y est mise en scène, la pièce est plus personnelle que mes autres. Donc, je suis beaucoup plus vulnérable. Heureusement, je suis capable de plus en plus de compartimenter mes rôles d’auteur et de metteur en scène. Quand j’arrive en salle de répétitions, l’auteur est mort. J’en parle presque à la troisième personne. »
C’est en dirigeant ses acteurs (Sylvie Léonard, Henri Chassé, Louison Danis, Geneviève Schmidt et Cynthia Wu-Maheux) que l’auteur a compris que ce qu’il voyait d’abord comme une série de monologues est plutôt une succession de dialogues — avec un protagoniste silencieux. Intégré dans le texte sous forme de points de suspension, le mutisme du Fils porte un sens. Une partition qu’il a fallu traduire par un vocabulaire corporel.
Maniant une langue moins crue mais toujours incisive, cet auteur qui aime décrocher du réalisme dans la forme insiste sur l’humour de son Dimanche napalm, un constat qui incite à la remise en question, « mais sans poing levé ».
Si Sébastien David a une cause, c’est d’abord celle du théâtre. Il en pratique de nombreux métiers, du jeu à l’enseignement. Le comédien a décidé de se vouer exclusivement à la scène. « J’ai même lâché mon agente. Je ne veux rien faire d’autre que du théâtre. »
Jusqu’à maintenant, on peut dire que ça lui réussit plutôt bien.