Bonbon électoral

«Les marches du pouvoir» est «une pièce rudement ficelée à la façon des tragédies shakespeariennes, et qui démonte une mécanique complexe en la revirant comme une chaussette».
Photo: Pierre-Marc Laliberté «Les marches du pouvoir» est «une pièce rudement ficelée à la façon des tragédies shakespeariennes, et qui démonte une mécanique complexe en la revirant comme une chaussette».

Les marches du pouvoir, de Beau Willimon, décortique la mécanique d’une primaire américaine ; mais ce pourrait être n’importe quelle autre campagne, hier ou aujourd’hui, aux États-Unis comme chez nous.

David Bellamy est directeur des communications dans la campagne 2008 du sénateur Morris pour la chefferie démocrate. À quelques jours d’un vote crucial en Iowa, il accepte de rencontrer l’organisateur du camp adverse : erreur fatale, qui révélera tranquillement les ficelles d’un univers où l’idéal est constamment battu en brèche. Du moins, où il risque de l’être.

Le texte de Beau Willimon trace d’étonnants chemins de traverse entre une campagne fictive et un vague sentiment qui nous reste d’une politique exsangue. C’est que l’auteur derrière House of Cards décrit avant tout un système, son texte serré place nettement les enjeux sans manquer aucunement de complexité, et il donne aux comédiens des personnages au tracé net. Surtout, il échafaude une grosse machine où l’humain risque de laisser ses convictions, et il en montre la mécanique profonde, en isolant un de ses éléments, le jeune David.

Dans la production de La Bordée, la première au nord des États, il faudra souligner au préalable la grande qualité du travail de David Laurin. C’est à se demander pourquoi une pièce serait traduite ici dans un autre français que celui-là, qui nous amène au plus près ; le texte de Willimon nous parvient dans une langue qui se fait vite oublier et qui, tout simplement vivante, laisse aux comédiens tout le loisir de se la mettre en bouche.

Charles-Étienne Beaulne porte sur ses épaules une charge imposante, qu’il mène à bon port, avec de très rares hésitations, et il se trouve solidement entouré. Jean-Sébastien Ouellet et Hugues Frenette, en directeurs de campagne opposés, sont ravissants, et il ne se trompait pas, l’auteur Willimon, qui avait été gagné en répétition par l’investissement des comédiens. Leur travail est solidifié par l’habile mise en scène de Marie-Hélène Gendreau, liant discret qui nous rapproche de la pulsation des coeurs.

Un grain de sable

 

Un pépin dans l’engrenage tient à la relation naissante entre le protagoniste et la stagiaire Émilie (Nathalie Séguin). Lors de leur rencontre, la scène s’étire, sentiment qu’on peut mettre sur le compte de la mise en place initiale, on passera l’éponge ; ce n’est que plus tard qu’on comprendra combien ce moment aurait dû être mieux investi.

La finale bien orchestrée des Marches du pouvoir, qui demande au protagoniste de trancher, à savoir s’il reste de ce côté-ci de l’humanité ou s’il commet l’irréparable, met en jeu cette même relation naissante ; le faîte de la pièce aurait assurément gagné en intensité si celle-ci avait été plus sentie. Celle-ci n’étant jamais tout à fait née dans notre esprit comme le texte l’aurait permis, on garde le sentiment qu’une note plus haute aurait pu être jouée pour la tombée de rideau.

On est ici toutefois dans le quart de tour, pour une pièce rudement ficelée à la façon des tragédies shakespeariennes, et qui démonte une mécanique complexe en la revirant comme une chaussette. Le spectacle nous plonge dans une expérience à la fois intime et ample, 1 h 45 qui, passé les premières scènes et les repères à placer, passe comme une balle. Du bonbon.

Les marches du pouvoir

Texte : Beau Willimon. Traduction : David Laurin. Mise en scène : Marie-Hélène Gendreau. Avec Charles-Étienne Beaulne, Maxime Beauregard-Martin, Sophie Dion, Hughes Frenette, Israël Gamache, Jean-Sébastien Ouellette et Nathalie Séguin Une production de La Bordée, en ses murs jusqu’au 26 novembre

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