La nuit des morts-vivants

Éric Jean, Larry Tremblay et Benoît Vermeulen
Photo: Pedro Ruiz Le Devoir Éric Jean, Larry Tremblay et Benoît Vermeulen

Au Quat’Sous et à La Licorne, Éric Jean et Benoît Vermeulen explorent l’univers du dramaturge Larry Tremblay à travers «Le Joker» et «Le garçon au visage disparu», deux pièces miroirs où l’auteur exploite un thème lui étant cher : l’identité.

Alors que la septième saison de la populaire série The Walking Dead a commencé dans la controverse, les spectateurs jugeant que celle-ci était allée beaucoup trop loin dans l’horreur sanguinolente, voilà que la figure du zombie fait son apparition dans Le Joker au Quat’Sous et dans Le garçon au visage disparu à La Licorne.

Ainsi, dans la pièce mise en scène par Éric Jean, sa dernière au Quat’Sous à titre de directeur artistique et de codirecteur général, les personnages subissent une transformation extrême sous le regard amusé du Joker (Pascale Montpetit), incarnation de la petite voix intérieure, tandis que l’on devine la présence envahissante de zombies avançant lentement mais sûrement au cours de cette étrange nuit.

À La Licorne, dans la pièce mise en scène par Benoît Vermeulen pour le Théâtre Le Clou, un adolescent fan de The Walking Dead, Jérémy (David Strasbourg), se réveille un matin sans visage, au grand désarroi de sa mère (Julie McClemens). Fait étonnant : fasciné par les monstres dans sa jeunesse, Larry Tremblay n’a jamais vu de films de zombies.

« Je suis moi-même étonné d’avoir utilisé le zombie. Je ne m’en suis aperçu qu’après coup. Quand Benoît m’a demandé une pièce, il fallait que j’aie un personnage adolescent. Ce sont donc les ados qui m’ont emmené dans l’univers des zombies; autrement, je ne crois pas que j’y serais entré », confesse l’auteur, dont les deux pièces paraîtront en novembre aux éditions Lansman.

« Au Clou, je cherche tout le temps des auteurs qui peuvent rejoindre le public adolescent, mais ça me prend quelqu’un qui n’a pas besoin d’y penser tant que ça, sinon ça devient ciblé. Je n’ai pas approché Larry dans l’idée d’une commande, mais dans l’envie de créer un spectacle ensemble », explique Vermeulen.

Métamorphoses nocturnes

 

Bien que Julianne (Louise Cardinal), la mère d’Olivier (André Robillard), ressuscite trois jours après sa mort et qu’Alice (Marilyn Castonguay), petite amie d’Olivier, regarde à la télé un film de zombies, le motif du zombie n’est pas l’élément principal du Joker.

« Pour moi, le zombisme, c’est une renaissance après la mort, une façon de continuer à exister autrement, avance Éric Jean. On est tellement dans une période où l’on repousse la mort que je crois que c’est pour cela que le zombie fascine les gens. »

« L’une des caractéristiques des zombies, c’est qu’ils ne ressentent rien, ils ont quelque chose d’anesthésié. Dans notre société où l’on ressent tellement de choses, cette fascination morbide pour les zombies, ce désir d’être quelqu’un à moitié mort et à moitié vivant, n’est pas surprenante », pense Benoît Vermeulen.

« Dans Le Joker, le zombie représente l’autre dont on a peur. Toute la pièce dit une seule chose: il faut d’abord se regarder soi-même, car l’autre, c’est aussi soi-même. La formule qui résume ma pièce, c’est l’autre, c’est aussi nous. Dans Le garçon au visage disparu, le zombie représente l’incertitude de l’adolescence, la construction fragile de sa personnalité, qui hésite entre la vie et la mort », révèle Larry Tremblay.

« Larry réussit à faire des métaphores qui ont une résonance directe, mais qui dans le fond sont bien plus complexes. Avec la perte du visage, on a tout de suite l’impression que c’est une fuite, mais on finit par comprendre que c’est un moment d’intimité entre le fils, le père et la mère. Il y a le positif et le négatif dans cette perte », analyse Vermeulen.

Alors que Simon (Normand Daneau), comptable transformé en policier dans Le Joker, s’inquiète de la venue d’envahisseurs qui menacent de franchir les murs, on ne peut s’empêcher de penser aux réactions hostiles de certains citoyens et politiciens devant la crise des migrants.

« C’est cette actualité-là qui m’a guidé dans Le Joker. C’est le propos qu’on peut y entendre à la lumière de l’actualité. Je ne voulais pas faire une oeuvre didactique, mais une oeuvre autonome qui résonnera autrement si on la monte dans 15 ans », souhaite Larry Tremblay.

À l’instar du Garçon au visage disparu, on retrouve dans Le Joker des motifs lynchiens et kafkaïens, lesquels laisseront peut-être quelques spectateurs dans le brouillard : « Il y a certaines similitudes entre Hippocampe de Pascal Brullemans et Le Joker, un mélange entre le monde réel et le monde rêvé ou fantasmé. Quand j’ai monté Hippocampe, il y avait des spectateurs enragés parce qu’ils n’avaient pas toutes les clés », se souvient Éric Jean. 

« Certains spectateurs veulent tout de suite avoir des réponses. J’écris toujours dans le sens opposé, car je pense que les spectateurs peuvent interpréter eux-mêmes la pièce ; ils ont le droit de choisir leur définition s’ils veulent absolument en avoir une ou demeurer dans l’ouverture », conclut Larry Tremblay.

Le Joker

De Larry Tremblay. Mise en scène d’Éric Jean. Au théâtre du Quat’Sous, du 7 novembre au 2 décembre. «Le garçon au visage disparu» de Larry Tremblay. Mise en scène de Benoît Vermeulen. À La Licorne, du 15 au 25 novembre.