Voyages au bout de la nuit à un train d’enfer

«Si les vidéos conçues par Johnny Ranger créent une atmosphère onirique pour les scènes plus fantastiques, les projections me sont d’abord apparues comme des distractions, surtout lorsqu’elles sont trop illustratives.»
Photo: Suzanne O'Neill «Si les vidéos conçues par Johnny Ranger créent une atmosphère onirique pour les scènes plus fantastiques, les projections me sont d’abord apparues comme des distractions, surtout lorsqu’elles sont trop illustratives.»

Pour des monologues qui s’appuient sur la seule force de la narration, les pièces de Mark O’Rowe déroulent d’hallucinantes odyssées urbaines. Poétique et grand-guignolesque, entrelaçant le trivial à la grandeur des mythes, la violence à l’humour, Terminus va encore plus loin que les précédents opus diffusés à La Licorne. Tête première et Howie le Rookie comportaient déjà, dans leur épique narration, un caractère un peu surréel. Mais l’auteur irlandais le pousse ici jusqu’à faire éclater complètement le réalisme : les trois histoires à dormir debout qu’il entrecroise nous transportent des rues de Dublin aux abîmes de l’enfer. La pièce est hantée par des images très cathos de damnation, mais aussi de rédemption et d’absolu.

Nuit infernale

 

Lors d’une nuit infernale, trois êtres esseulés sont entraînés au bout d’eux-mêmes à la suite d’une décision impulsive. Une enseignante, bénévole dans un centre d’écoute, tente d’aider une ancienne étudiante. Une jeune femme trahie par des amis trouve l’amour dans des circonstances inimaginables. Et un homme vend son âme au diable afin de surmonter son extrême timidité avec la gent féminine. Trois récits qui finissent bien sûr par se rejoindre.

Pour une troisième fois, Olivier Choinière se frotte à une langue dont il parvient à évoquer la rythmique parfois rimée, où il réussit à marier crudité et lyrisme (ah, la beauté de cette scène où l’une des protagonistes qui va vers sa mort voit remonter tous ses souvenirs…).

Un art de la narration qui s’accompagne ici d’une enveloppe visuelle soignée. Michel Monty a imaginé son spectacle comme « un roman graphique et sonore », explique-t-il dans son mot de metteur en scène.

Ludisme en valeur

 

Sa production met en valeur le ludisme contenu dans le texte. Mais si les vidéos conçues par Johnny Ranger créent une atmosphère onirique pour les scènes plus fantastiques, les projections me sont d’abord apparues comme des distractions, surtout lorsqu’elles sont trop illustratives. Par exemple, quand elles montrent un personnage que notre imagination, grâce à la description d’O’Rowe, avait visualisé encore plus effrayant. Difficile de rivaliser avec la puissance d’évocation du dramaturge…

On a d’autant plus l’impression que ce n’est pas nécessaire, vu la force des interprètes que Monty a choisis. Si Martine Francke, pourtant très juste, semble un peu plus effacée — peut-être parce que son personnage est confronté à un destin moins excessif —, ses deux partenaires portent leur récit plus grand que nature avec l’assurance et l’exultation de véritables bêtes de scène. Mani Soleymanlou et la fabuleuse Alice Pascual sont d’une présence captivante. Le théâtre de Mark O’Rowe appartient d’abord aux interprètes.

Terminus

Texte : Mark O’Rowe. Traduction : Olivier Choinière. Mise en scène : Michel Monty. À La Licorne, jusqu’au 29 octobre.

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