Être ou ne pas être

Denis Marleau est de retour au Théâtre du Rideau Vert 15 ans après y avoir mis en scène Intérieur de Maurice Maeterlinck, un spectacle raffiné, tragique, qui cultivait l’indicible et l’intangible. La production présentée ces jours-ci est d’un tout autre registre, peut-être plus accessible, certainement plus drôle. Avec Les diablogues, un collage de textes savoureux du Français Roland Dubillard, le metteur en scène revient en fait à ses premières amours : un théâtre absurde qui expose, dans toute leur splendeur comique et ontologique, les rouages implacables du langage.
En assistant à cette suite de saynètes faussement naïves, remplies de sophismes, on pense inévitablement à Queneau, à Beckett et à Tzara, que Marleau connaît bien, mais aussi à Tardieu, à qui Paul Buissonneau avait consacré un irrésistible Cabaret des mots à l’Espace Go au début des années 2000. Les dialogues de Dubillard sont définitivement diaboliques. Ce sont des pièges, ni plus ni moins. Des pièges où l’individu en quête d’identité — qu’il s’agisse du personnage aussi bien que du spectateur — vient invariablement se prendre. Dubillard semble nous rappeler que sur le chemin rocailleux de la connaissance de soi, nul n’est à l’abri d’un gouffre ou d’un mirage.
Dans ces échanges, où l’incommunicabilité atteint des sommets on ne peut plus actuels, les personnages, la plupart du temps par tandem, s’interrogent notamment sur l’art, le corps et la politique. Il suffit d’une paire de lunettes, d’une grenouille ou d’un banal compte-gouttes pour déclencher de spectaculaires parties de ping-pong verbales, de désopilants combats de karaté existentiel. Pour interpréter cette musique, suite de délicates variations sur le même thème, Marleau a retenu les services de comédiens dotés d’une aisance verbale et gestuelle admirable. Ils sont tous comme des poissons dans l’eau, des chevronnés aux nouveaux venus, de Sylvie Léonard à Isabeau Blanche et de Carl Béchard à Olivier Morin.
Les corps des acteurs, vêtus dans un style vieille France parfaitement maîtrisé, sont tour à tour contraints et libérés, sublimes et grotesques. De la vidéo aux accessoires en passant par les éclairages et la musique, tout concourt à nous donner le sentiment que l’action se déroule dans un Paris imaginaire, ancien et pourtant sans âge, une sorte de boîte à musique qui fascine, objet de beauté et de précision souvent désopilant, mais sur lequel plane tout de même une angoissante fatalité.