Pourquoi quitter Dunham?

La vague parfaite est un «opéra surf», c’est-à-dire un opéra des apparences, où les références sérieuses à l’opéra, ses codes et sa dramaturgie sont récurrents.
Photo: Toma Iczkovits La vague parfaite est un «opéra surf», c’est-à-dire un opéra des apparences, où les références sérieuses à l’opéra, ses codes et sa dramaturgie sont récurrents.

Il fallait être passablement givré pour s’enfoncer dans le chaos routier depuis la banlieue nord pour aller donner un coup de main à l’équipe théâtre du Devoir en allant commenter un « opéra surf », dont personne ne savait expliquer de quoi il pouvait bien s’agir.

Mais il y a toujours plus givré que soi et, en la matière, l’équipe du Théâtre du Futur est quasi imbattable. En degré de « givritude », on atteint la cryogénie. Et cette troupe a trouvé son point de chute idéal : un théâtre de poche avec plus de spectateurs que de places sur les bancs qui se nomme… Espace Libre ! Du coup, on se serre ; les surfeurs sont sur scène, les sardines dans la salle. Ça ne s’invente pas, tout comme La vague parfaite, ça ne se raconte pas !

Le projet global du Théâtre du Futur se dessine bien. Il y a eu Clotaire Rapaille, l’opéra rock ; L’assassinat du président (Gilles Duceppe) dans un studio de radio et Épopée Nord, une soirée canadienne. L’exploration des genres se poursuit en parallèle de l’éventail des satires : La vague parfaite est un « opéra surf », c’est-à-dire un opéra des apparences, où les références sérieuses à l’opéra, ses codes (y compris le lieto fine — fin heureuse — mozartien) et sa dramaturgie sont récurrents. Sur le fond, La vague parfaite est tout aussi expérimental que les créations de Chants Libres, mais infiniment plus drôle, sympathique et édifiant.

La musique de Philippe Prud’homme, tout à fait efficace, mêle faux Puccini, pop, folk, électronique et reggae. Les parodies d’opéras sont allusives plutôt qu’explicites, tels l’adieu à la vie d’une Japonaise obsédée par ses chats, façon Madame Butterfly, et, surtout, ce grand air de ténor sur l’espoir perdu (« je suis le sandwich au beurre de peanuts de quelqu’un allergique au beurre de peanuts ») qui arrive dans l’histoire comme une sorte d’antithèse fataliste de Nessun Dorma dans Turandot de Puccini.

Le concept Théâtre du Futur, c’est une grosse déconnade d’anticipation brossant avec un sarcasme cru des questionnements de notre époque. Les surfeurs du Pacifique, adeptes du droit de cuissage sur leur île, ne s’intéressent qu’à leur apparence, alors que les habitants sont menacés autour d’eux. Le réchauffement climatique va provoquer un tsunami qui va engloutir les îles. « On s’en torche », chantent-ils au faîte de leur inconscience climatique. Deux d’entre eux mourront, l’un par « excès de coolness » l’autre par « excès de zèle ». Tous deux n’ont vu dans le tsunami rien d’autre que la vague parfaite.

Les autres crétins musclés et poupounes chaudasses se retrouvent en seconde partie sur un radeau de « migrants cools » que des pays épargnés (les Amériques, dont la présidente est Michelle Obama, et l’Islande personnifiée par une Björk impeccablement mimée par Hiather Darnel) s’arrachent. À travers Björk, le « modèle scandinave » en prend pour son grade.

Le livret n’est ni de Da Ponte, ni de Hofmannsthal : « Chauffe la cheminée, ma graine is on the way », « Ça te tente de fourrer ou de faire des push-ups ? » ou « Je vais pleurer seul dans la tente à cul » déclenchent l’hilarité chez certains. Ce monde de surfeurs qui cherchent à « se hisser en haut de la pyramide du coolness » est observé par une blogueuse qui rêve d’« être une étoile », c’est-à-dire « journaliste pigiste dans une télévision locale » !

Les auteurs Olivier Morin et Guillaume Tremblay arrosent à tout va, y compris sur le genre opéra lui-même, parfois régi par les mêmes règles d’image. Dès qu’est évoqué Pat Varotti, la légende du surf, la tête de Marc Hervieux est projetée sur les planches (hilarité, aussi). Mais quand les protagonistes dorment sur le radeau, c’est « comme au 2e acte, à l’Opéra de Montréal ».

De l’opéra, on retrouve aussi certaines langues : un protagoniste s’exprime en allemand, d’autres en italien. Le texte est projeté sur le mur latéral, ce qui aide vraiment à suivre. Les chanteurs sont honorables, Cécile Muhire dominant le lot, et le baryton Antoine Gervais compensant avec le physique parfait une voix mal placée.

À quoi rime le feu d’artifice ? À un vaste délire collectif dans lequel on en prend et on en laisse. J’attendais de La vague parfaite une satire plus large sur l’inconscience écologique ; c’est plutôt le diktat des apparences et la superficialité ambiante qui sont vilipendés. On en retiendra, cependant, qu’un vrai surfeur « préfère être de l’engrais que de retourner vivre à Dunham ». Comprenne qui pourra !

La vague parfaite

Opéra surf. Livret : Olivier Morin, Guillaume Tremblay. Musique : Philippe Prud’homme. Chicks : Hiather Darnel, Anne Julien et Cécile Muhire. Dudes : Sylvain Paré, Mathieu Grégoire, Antoine Gervais. Philippe Prud’homme (piano), Navet Confit (guitares, claviers et ambiance). À l’Espace Libre, jusqu’au 30 novembre.

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