Attractions dans l’obsolescence

Pendant une heure, Le monstre place dans le huis clos d’une buanderie une jolie brochette de représentants de la génération « duck face ». Sans filtre photographique, sans excès de sourires factices, ils vont devoir socialiser et renouer avec l’essentiel, en naviguant entre leurs contradictions.
Photo: Pierre Castera Théâtre Kata Zoofest Pendant une heure, Le monstre place dans le huis clos d’une buanderie une jolie brochette de représentants de la génération « duck face ». Sans filtre photographique, sans excès de sourires factices, ils vont devoir socialiser et renouer avec l’essentiel, en naviguant entre leurs contradictions.

C’est ce qu’on appelle faire passer l’expression « créer un monstre » de la tournure de style aux planches…

Avec Le monstre, proposition dramaturgique inscrite dès lundi prochain et pour sept soirs seulement à la programmation de l’éclectique festival Zoofest, la jeune troupe du Théâtre Kata a décidé d’autopsier à la dure les notions de désir et d’attraction dans des sociétés où le jetable et l’obsolescence programmée percolent désormais au-delà du cadre de la consommation de produits, jusqu’à teinter les relations entre les humains. Du théâtre coup-de-poing, en somme, pour forcer les nez à se décoller de l’instant, à mieux prendre conscience de tout l’absurde du présent.

« Cette pièce part d’un constat, lance à l’autre bout du fil Olivier Arteau-Gauthier, auteur et metteur en scène de cet objet théâtral repris ici après une présentation remarquée l’an dernier à Montréal dans le cadre du festival Fringe. Aujourd’hui, le désir, surtout celui à connotation sexuelle, est omniprésent dans la société comme vecteur et argument de vente. Dans les univers numériques, il teinte même nos rapports sociaux. C’est la rhétorique du désir que l’on exploite pour se promouvoir, pour nous montrer, pour nous faire remarquer, pour stimuler les phéromones chez l’autre. Mais ça nous conduit où ? »

À grands coups de Facebook, de Twitter, de Vine et d’Instagram, le corps est désormais devenu une marchandise dont la valeur se mesure sur les nouveaux marchés du social au nombre de « J’aime » accumulés. « Ces outils montrent que ce que l’on vit est beau, dit le dramaturge. Mais est-ce également vrai ? Est-ce sincère ? »

Souffrir pour réfléchir

 

Pour le savoir, dans cette époque qui n’aime pas toujours regarder ses paradoxes dans le blanc des yeux, il faut se faire violence. Ce que propose d’ailleurs ce Monstre, qui, pendant une heure, place dans le huis clos d’une buanderie une jolie brochette de ces nouveaux vaniteux, représentants de la génération « duck face » — cette moue que l’on fait sur les égoportraits partagés en ligne pour se faire plus désirable en donnant l’illusion d’être plus mince que nature. Ils ne peuvent pas sortir. Ils vont devoir socialiser, sans fard, sans filtre photographique, sans excès de sourires factices, et renouer du coup avec l’essentiel, en naviguant entre leurs contradictions.

Le spectacle est kinesthésique, à l’image des créations de la jeune troupe intervilles — formée d’un trio de base provenant de Québec et Montréal — qui souhaite donner de l’importance à la dynamique des corps, aux interactions physiques dans des dramaturgies classiques. Il est aussi réflexif, l’auteur souhaitant surtout avec ce Monstre forcer les questions, plutôt que de se plier au diktat très contemporain de la réponse facile offerte face à la complexité des choses. « Je veux que le spectateur soit victime de tout ça », dit Olivier Arteau-Gauthier, qui a étudié le théâtre russe en Biélorussie au début de la décennie en cours, avant de revenir ici développer sa tératologie sociale pour planches.

Et il ajoute : « L’artifice, pour séduire, fait partie de la nature. Les oiseaux l’utilisent comme façon de courtiser. Mais que deviennent réellement ces artifices déployés quand ils finissent par compliquer les rapports, les inscrire dans cette superficialité du jetable au point de rendre difficile le contact avec l’autre ? » Un lien de causalité effroyable, en effet !

Le Monstre

Texte et mise en scène d’Olivier Arteau-Gauthier. Avec Olivier Arteau-Gauthier, Lucie M. Constantineau, Dustin Segura-Suarez, Vincent Massé- Gagné, Gabriel Cloutier Tremblay, Léa Aubin, Sarah Villeneuve-Desjardins, Nathalie Séguin, Dayne Simard, Vincent Roy. Au Théâtre La Chapelle les 20, 26, 27, 28, 29, 31 juillet et 1er août À 19 h ou 20 h 30.