Le franglais du Fuzzy

Seul sur scène, le jeune comédien Guillaume B. Choquette tient tendu pendant près d’une heure le récit d’une vie minable.
Photo: Louis Longpré / Zoofest Seul sur scène, le jeune comédien Guillaume B. Choquette tient tendu pendant près d’une heure le récit d’une vie minable.

Le décor est statique, avec son flamand rose en plastique de circonstance planté dans une bande de gazon vert synthétique. Mais la proposition artistique, elle, ne l’est certainement pas.

Dévoilée en reprise dans le cadre du festival bigarré Zoofest, après une présentation plutôt confidentielle à Montréal au début de l’année, la pièce G-Money se révèle être une redoutable machine narrative qui puise son carburant créatif dans un franglais urbain qui défie les préjugés cultivés à son endroit par une certaine frange de l’arrière-garde culturelle, et ce, en exposant bien plus de richesse que d’appauvrissement. Une incursion dynamique dans un présent troublé, menée par un conteur émergent d’une efficacité remarquable et sa langue, terriblement crue, mais franchement vivante.

Seul sur scène, le jeune comédien Guillaume B. Choquette tient tendu pendant près d’une heure le récit d’une vie minable, celle de G-Money, petite frappe, fièrement montréalais, contraint d’aller vivre à Laval avec sa mère et sa soeur. Le personnage cherche à masquer sa médiocrité en se montrant aux yeux des autres plus grand qu’il ne l’est vraiment. C’est un petit revendeur de drogue dans les alentours du pont Viau qui se prend pour le boss d’un cartel colombien, même s’il doit faire ses livraisons à… vélo.

Le destin relève de la tragédie contemporaine. Il est habilement exposé sur scène en une succession d’anecdotes à l’écriture précise, rigoureuse et métissée qui promène le spectateur des rues de Montréal-Nord, où le bonhomme se fait subjuguer par les fesses d’une Haïtienne, aux bas-fonds de Laval, où il va chercher à devenir un autre pour éviter de grandir, entre les soirées chaudes et alcoolisées du Fuzzy et le pathétique du boulevard des Laurentides. Dans l’air, il y a de l’herbe, du crack, la violence de la monoparentalité, des petites combines pour survivre, la quête de l’argent facile, y compris en devenant cobaye pour des compagnies pharmaceutiques, des règlements de compte, mais surtout cette douleur de la condition humaine, lorsque le cadre, le point de destination d’une existence, n’a pas été assez bien défini.

Tout ça aurait pu être sombre. Mais sous la houlette de Choquette, le portrait dressé sur les planches du Théâtre La Chapelle en devient surtout terriblement humain et étrangement poétique, allant même chercher sa dimension comique dans les images fortes et grotesques que l’auteur façonne habilement avec sa courtepointe de mots.

Au final, l’impression d’avoir été témoin d’une autopsie lucide et acerbe des relations humaines malmenées par la vie se fait forte, tout comme celle d’avoir été exposé à un fragment du présent montréalais raconté forcément avec exactitude puisqu’il emprunte le chemin linguistique qu’il lui faut pour le faire.

G-Money

Texte et interprétation : Guillaume B. Choquette. Mise en scène : David Strasbourg. Théâtre La Chapelle, les 14 et 27 juillet et le 1er août, à 19 h ou 20 h 30.

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