Une heure de pointe et un comédien

« La banlieue, c’est dans la tête que ça se passe », affirme Guillaume B. Choquette.
Photo: Amine Shérif « La banlieue, c’est dans la tête que ça se passe », affirme Guillaume B. Choquette.

C’est quelque part entre le chic boulevard des Laurentides et l’insipide boulevard de la Concorde à Laval que la vérité crue, finalement, est sortie : « La banlieue, c’est dans la tête que ça se passe. Sur le Plateau [à Montréal], j’en connais qui l’ont, d’ailleurs, cette banlieue en tête. Et c’est amusant quand on y pense ».

Dans une Matrix noire — véhicule à-propos pour passer inaperçu dans le 450 —, depuis le départ d’une rue du Plateau où il a été embarqué par Le Devoir pour un périple automobile en pleine heure de pointe en direction de la banlieue nord, le jeune comédien et dramaturge Guillaume B. Choquette parle de sa création, G-Money, et réfléchit sur la banlieue, décor de cette pièce qui prend l’affiche dès vendredi au théâtre La Chapelle dans le cadre du festival protéiforme Zoofest. « Critiquer la banlieue, c’est facile, lancera-t-il en substance lors du retour sur l’île par le pont Papineau. Ça permet de se donner une image », d’affirmer que l’on n’est pas de cette talle-là, que l’on est mieux, plus fort ou différent. Même si tout ça peut finir par devenir un peu grotesque.

Conte urbain et humour

 

La surreprésentation du soi par l’excès de confiance et le mépris de l’autre : le comédien connaît ça, pour en avoir fait le thème central de sa pièce, au croisement du conte urbain et de l’humour, et qui en une heure suit le destin un brin désolant de G-Money, jeune montréalais plutôt blanc se prenant, avec ce surnom absurde emprunté à l’univers du bling bling, pour un rappeur gangster black. Il vient de s’expatrier à Laval avec sa mère et sa soeur. De manière un peu gauche, avec la suffisance que l’insulaire peut parfois exprimer face à son voisin des cités-dortoirs sans trottoirs, il va tenter de s’imposer dans le monde interlope et nocturne lavalois, mais surtout va exposer ses failles et sa détresse.

« Ce n’est pas une pièce sur la banlieue », résume, assis côté passager, le jeune comédien qui signe ici sa première pièce, livrée discrètement au début de l’année à l’Espace la Risée à Montréal, avant cette reprise dans le cadre du Zoofest. Autour de lui, la rue Lajeunesse dévoile son esthétique urbaine qui annonce déjà le 450, en pleine île, avec ses motels à siestes et ses restaurants accessibles surtout au volant d’une voiture. « Le texte parle plutôt de l’identité factice que l’on peut se construire pour s’imposer dans un groupe, de la peur de passer à l’âge adulte, des apparences que l’on cultive pour fuir ce que l’on est vraiment. » Le syndrome de l’autruche, en somme, exploré dans le quotidien triste et enragé d’un jeune citadin perdu dans le monde des jeux vidéo et dans la banale médiocrité de sa condition.

 

De la réalité à la fiction

L’action se joue dans les environs du pont Viau, au nord du métro Henri-Bourassa, terrain que Guillaume B. Choquette a fréquenté dans sa jeunesse et sur lequel il a rencontré, dans ses années cégep, son G-Money, un excessif du genre qui, plus d’une décennie plus tard, lui a inspiré ce personnage qu’il incarne lui-même sur scène. « On le croisait dans des partys entre amis, dit l’auteur. Il était fascinant dans ses excès, dans la façon qu’il avait d’affirmer en groupe son personnage de rappeur, de se donner une hauteur, une existence de criminel qu’il n’avait pas. Il y a quelques années, j’ai essayé de prendre des nouvelles de lui. On m’a dit qu’il avait mis fin à ses jours. »

À une âme perdue

 

G-Money, qui a vu le jour il y a quelques années dans un format de 15 minutes, aurait pu donc être un hommage à cette âme perdue qui partage certainement la tragédie d’un destin avec bien d’autres jeunes de son espèce. « Il y a un peu de ça, reconnaît le dramaturge-comédien, mais pas seulement : la pièce pose aussi son regard sur la réalité que certaines personnes refusent de regarder en face et sur les préjugés qu’elles finissent par cultiver elles-mêmes sur elles-mêmes. »

À la radio, le chroniqueur bouchon et autoroute annonce au même moment un ralentissement important sur la 13. Diantre ! C’était donc là qu’il aurait fallu aller pour cultiver un autre préjugé : celui du retour en banlieue, le soir, dans la lenteur des congestions. Chose qui, en cette fin de journée de juin, ne s’est jamais produite, comme pour appuyer les propos de Guillaume B. Choquette sur son G-Money et sur les images figées et faciles sur les choses dont il n’est jamais mauvais de se défaire… pour grandir un peu.

G-Money

Texte et interprétation : Guillaume B. Choquette. Mise en scène : David Strasbourg. Au Théâtre La Chapelle les 10,12,14 et 27 juillet, et le 1er août, à 19 h ou 20 h 30.

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