Mani l’universel

Ce texte fait partie du cahier spécial Conseil des arts
Acclamé lors du Festival TransAmériques 2014 pour Trois, dernier pan d’une trilogie incluant Un et Deux, Mani Soleymanlou a frappé fort avec un texte sur les troubles identitaires du Québec, des Québécois, du monde. Cette pièce trois-pour-un, qu’il écrit, met en scène, joue et produit sous le chapeau de sa compagnie, Orange noyée, remue aussi les assises du théâtre, notamment par la présence sur scène de 40 comédiens. Le caractère « mobilisateur » du spectacle, « véritable manifeste théâtral », selon le jury, donne à l’homme et à sa compagnie sa place de finaliste du Grand Prix du Conseil des arts de Montréal.
« C’était important que ça reste du théâtre, que ce ne soit pas juste un manifeste identitaire. Mais, “ manifeste théâtral ”, je n’aurais jamais osé appeler ça comme ça. C’est génial. C’est inespéré, en fait. »
Accoudé au bar du théâtre La Licorne, Mani Soleymanlou parle depuis 10 minutes sur les enjeux de travailler un sujet — l’immigration — si personnel et si complexe. Or c’est au moment d’aborder le théâtre comme tel que sa voix se met à vibrer.
« J’ai décidé de questionner le geste théâtral, l’écriture même de la chose. La répétition, le recommencement, on refait, on réécrit live, on questionne le geste initial. Le théâtre est au coeur de la réflexion [identitaire] », clame-t-il.
Ses pièces s’intitulent Un, Deux, Trois, puis, la plus récente, Ils étaient quatre, en cours à La Licorne. Celle-ci est la première d’une seconde trilogie, car il y aura ultérieurement Cinq à sept et Huit, toutes animées de l’identité de genre.
Mani Soleymanlou admet n’avoir rien planifié. Instinctif plus que calculateur, à l’écoute plus qu’obsédé par une vision, l’auteur et acteur n’avait rien prévu de cette séquence numérale qui lui colle maintenant à la peau.
« Ils étaient quatre, c’est un titre qui existe depuis 2005. Avec les gars [Éric Bruneau, Guillaume Cyr et Jean-Moïse Martin, sur la scène de La Licorne], on avait fait une version à l’école, affirme-t-il. Un, au début, avait comme titre mon numéro d’assurance sociale. Tout le monde me disait : “ C’est un truc de merde, personne ne s’en souviendra ”. Un peu par orgueil, j’ai fait : “ OK, on va dire Un, vu que c’est mon premier show ”. Il y a eu ensuite Deux, puis Trois. Mais le quatre était déjà là. »
Né en Iran, élevé en partie au Québec et formé à l’École nationale de théâtre, Mani Soleymanlou a d’abord été acteur pour d’autres — et le sera toujours, souhaite celui qui aime le répertoire classique. Il savait qu’il écrirait ses propres pièces, sans savoir que ça arriverait si vite et que ça démarrerait par une trilogie. Il y a beaucoup d’inconnues et de hasards, selon le Montréalais trentenaire.
« Un, c’était supposé être un soir, au Quat’Sous, lors des Lundis découvertes. Finalement, je l’ai fait 165 fois. On m’avait donné carte blanche et on voulait que je parle de l’Iran, note Soleymanlou, qui ne savait pas à l’époque quoi en dire. C’est ce qui est sorti. Quatre ans plus tard, je fais Ils étaient quatre, je parle à toi, je suis nommé pour le Grand Prix. La vie est drôlement faite. »
Il est encore trop tôt pour définir son théâtre, dit-il. Il remarque cependant qu’il a un penchant pour la fragmentation d’une idée. « J’aime faire des jumps-cuts. Comme je vis la vie, comme j’utilise Facebook, comme je lis, comme j’écoute la musique », confie-t-il.
Plus que le réalisme d’un propos, c’est son authenticité qu’il apprécie. « Ça, je peux l’expliquer. De Mani dans Un à Emmanuel dans Deux, aux 40 acteurs dans Trois, aux quatre acteurs dans Ils étaient quatre, tout le monde porte son nom. Il y a un truc que j’aime dans le parler de soi. Je crois que plus on parle de l’intime, plus la vision est universelle. Plus les lignes sont brouillées, plus, selon moi, le spectateur a l’impression qu’on parle de lui. »
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