Une recette de poulet

Ça, c’est du bonbon pour un critique : une pièce de théâtre intitulée Pour réussir un poulet qui, au final, donne la franche impression de suivre une recette, recette dramaturgique déjà servie, par le passé, par son auteur.
Les ficelles qui tiennent la nouvelle proposition théâtrale de Fabien Cloutier, livrée depuis mardi dernier sur les planches de La Licorne, à Montréal, ont des airs de déjà-vu, en effet, avec une trame dramatique tendue à l’extrême, à la limite du point de rupture, une langue rugueuse portant un texte raboteux qui entrelace son intrigue et ses voix, méthodiquement, et surtout son retournement de situation dans une finale forte, coup de poing, qui fait malplusieurs heures encore après la sortie du théâtre. C’est un peu Cranbourne, un peu Scotstown, beaucoup Billy (Les jours de hurlement) du même Cloutier, sur un cadre et un thème similaires — l’humanité saisie dans la face la plus abjecte de sa condition —, avec des visages différents.
Cela dit, l’objet, même si sa mécanique et ses ingrédients sont plus qu’apparents, n’est pas inintéressant pour autant, la faute à l’écriture précise de Cloutier et ses gros plans sur un présent embourbé qu’il construit avec des fragments d’une existence plutôt minable donnant l’impression d’avoir été découpés avec précision, à la lame rasoir. Il y a du petit monde attrapé dans la petitesse des solutions qu’ils sont capables de s’appliquer pour s’en sortir : un entrepreneur véreux qui va exploiter son prochain en faisant croire qu’il l’aide, une petite frappe à la moralité soluble dans l’appât du gain, un bum prisonnier d’un cadre mental et d’un environnement social où ses bonnes intentions ne pourront jamais éclore, une serveuse désabusée, une mère obnubilée par YouTube.
La distribution est, sans exception, impeccable, donnant corps avec exactitude, dans le verbe, dans le corps, dans la tonalité, à cette exploration fine et lucide d’une humanité aux ressources limitées, d’une humanité abîmée par son présent, en quête de repères, qui n’a d’autres choix que de se débattre pour exister. Ça sent l’huître de Caraquet oubliée dans un camion non réfrigéré, ça pue l’angoisse, l’urgence, la violence, la merde, le sacre qui éclabousse. Et il ne faut surtout pas s’en surprendre, tout cela faisant partie d’une recette qui une fois encore donne au final un plat odorant, fort, à dessein et à la hauteur des ingrédients que l’on a mis dedans.