Réfléchir à tue-tête

Avant même que Fred Dubé s’amène sur la scène du Théâtre Sainte-Catherine, on ne peut, en toute conscience, faire abstraction d’un certain préjugé favorable à son égard. On l’a rencontré, on a discuté avec lui. On a retenu de l’entretien un mélange de verve, de hardiesse et de curiosité. Un sens critique aiguisé, aussi. Humour politique, humour engagé : la proposition de Fred Dubé apparaissait d’emblée prometteuse. C’est dans cet état d’esprit que l’on se trouve au moment où les projecteurs éclairent une scène en attente.
Platon était d’avis que la « double ignorance » est le fait de croire que l’on sait alors que dans les faits, on ne sait pas. L’ignorance fait plus de victimes que le cancer, le deuxième spectacle solo de Fred Dubé, démontre combien pertinent demeure cet auguste concept. C’est qu’il ne s’en cache pas, il aime lire et s’instruire, Fred Dubé, sur la politique et les médias en particulier, histoire de mieux comprendre ses cibles de prédilection afin d’en mieux rire.
Ce dont il ne se prive pas, pour le plus grand plaisir, et parfois pour la plus grande gêne du spectateur, qui, tantôt opine du chef devant une observation savoureuse, tantôt rentre dans son fauteuil en se reconnaissant dans un comportement de mouton-citoyen. Car s’il entend faire rire, Fred Dubé ne cherche pas à plaire à tout prix. Le bruit des grincements de dents à la place d’un rire franc, ça ne le trouble pas. Ici, point de rectitude, point de consensus. Ce qu’annonçait du reste d’office le titre du spectacle, quand on y pense.
Parmi les temps forts, on signalera ce monologue sur les raccourcis intellectuels en information, véritable logorrhée satirique dans laquelle le comique, alouette en colère, vomit les chroniqueurs patentés. Ou encore le numéro final, d’une intensité inattendue, où Fred Dubé imagine les derniers moments de vie de l’acteur Philip Seymour Hoffman, mort d’une surdose, seul au sommet, ou quand la réussite telle qu’on l’enseigne ne veut finalement rien dire. Sans filet et en marge de tout ce qui s’apparente à une zone de confort, l’humoriste, en cette occasion, force l’admiration.
Bien entendu, l’ensemble gagnera à être rodé, mais déjà, le contenu riche est livré avec aisance et, surtout, intelligence. Au bout du compte, si Fred Dubé emporte l’adhésion, c’est parce qu’il n’invite pas le spectateur à réfléchir. Il réfléchit devant le spectateur. Et ce dernier, ainsi inspiré, d’en faire autant avec un enthousiasme renouvelé. C’est dans cet état d’esprit que l’on se trouve au moment où les projecteurs s’éteignent.