Le réveil indigné de Fred Dubé

Reçu comme une bouffée d’air frais — ou comme une claque sur la gueule salutaire, c’est selon —, son premier spectacle solo Terroriste blanc d’Amérique fit salle comble l’an dernier à Zoofest, lui valant le prix Coup de coeur. Fred Dubé rempile cette année avec une deuxième proposition au titre tout aussi évocateur : L’ignorance fait plus de victimes que le cancer. Déjà, on entend les rires jubilatoires concurrencer les grincements de dents. C’est que, pour informé et réfléchi qu’il soit, l’humour de Fred Dubé ne donne guère dans la rectitude politique.
« J’aime les titres coups-de-poing, un peu choquants, confirme le principal intéressé. J’ai voulu faire allusion à une maladie qui, sans remettre en cause sa gravité, est à la mode. On en parle énormément, on organise des marches, on monte des campagnes de sensibilisation, et c’est ben correct, mais pourquoi n’en fait-on pas autant pour l’ignorance ? »
Parant à tout malentendu, Fred Dubé y va d’une précision intéressante : « Les gens qui m’entourent, les gens qui viennent à mes spectacles, les gens que je croise : ce sont tous des gens intelligents, mais qui vivent dans une société qui ne leur donne pas les outils nécessaires pour vivre une vie intelligente. »
Ce qui nous ramène au titre choisit par l’humoriste originaire de Rimouski. « Je me suis inspiré de George Orwell, l’auteur du roman 1984, qui a écrit : “La dictature s’épanouit sur le terreau de l’ignorance.” Moi, j’estime qu’on en est là. Je crois que l’ignorance, on l’entretient, on la cultive, parce qu’un peuple inculte est plus facile non pas à gouverner, mais à contrôler. »
Le pouvoir pour cible
On l’aura compris, le pouvoir est la principale cible de Fred Dubé. Le pouvoir dans toutes ses déclinaisons : le politique exécutif (premier pouvoir), le politique législatif (deuxième pouvoir), le judiciaire (troisième pouvoir), sans oublier le médiatique (quatrième pouvoir).
Pour le compte, Fred Dubé poursuit ici une exploration critique déjà bien entamée dans Terroriste blanc d’Amérique, qu’il vient justement de présenter en reprise à Zoofest avec un succès renouvelé. « Je reprends où j’ai laissé, oui. Les deux spectacles ayant été écrits à un an et demi d’intervalle à peine, la mouvance est similaire. J’ai vraiment découvert ma “talle” créative. »
Une « talle » bien fournie qu’il explore depuis quelques années, la démarche de Fred Dubé ne découlant pas d’une épiphanie, mais résultant plutôt d’une série de petites prises de conscience successives. « Le printemps étudiant a été un de ces moments », confie-t-il.
À force de constats, un gars s’éveille, puis se renseigne. « Je suis quelqu’un qui veut comprendre ce qui se passe. Pour y arriver, je lis tant que je peux. Mon spectacle, c’est un condensé de la pensée d’intellectuels pas mal plus futés que moi : Pierre Vallières et son Nègres blancs d’Amérique, un livre rempli d’amour ; Michel Chartrand, Noam Chomsky… Illusions, de Simon Tremblay-Pépin, offre un bon résumé de la patente médiatique. »
Et l’indignation de monter, monter… Or, pour que celle-ci ne soit pas vaine, il faut la transcender. Dans le cas de Fred Dubé, ça passe par le rire. « Ma force étant l’humour, c’est le moyen que je prends pour propager la réflexion de ces penseurs qui m’inspirent. » C’est déjà beaucoup.